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10 octobre 2008 5 10 /10 /octobre /2008 14:53


Sous les braises d’un ciel sur le point de sombrer
Elle se donne au vent et se lie à la terre
Femme-fée, femme nue, sauvage et animale
Les cheveux cascadant sur son corps délié
Elle entonne le chant antique des sorcières
Les reins chauds et cambrés en un désir primal.

 
Elle accomplit l’offrande sous la voûte noircie
Ballet originel d’amour et d’harmonie ;
Louve belle et sereine,
La femelle prêtresse se mêle à la forêt,
A la pierre, au ruisseau, à l’oiseau qui se tait
Pour un rite de feu éclaboussant la nuit.

 

Et la peau frémissante, prête à la communion,
Elle s’étire, féline,
Serpentant sous la lune aux reflets de passion
Seins d’opale durcis, elle offre ses collines       
Et ses cavernes ruisselantes
Et ses riants vallons
Et sa bouche de fruit
Et ses mains qui se tendent
Et son corps qui dit oui
A la puissante union,
Sur la mousse complice célèbre son désir
Et dans l’éblouissement accueille son plaisir.

 

Son âme qui chavire l’espace d’un éclair
L’univers qui s’entrouvre et offre ses mystères.
A l’amante du monde, à la femme, à la Mère.

 

Françoise Jeurissen / Tinuviel - octobre 2008

 

                                                     Tableau de Séverine Pineaux
                                           Allez visiter son site, c'est magnifique !

 

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29 septembre 2008 1 29 /09 /septembre /2008 16:18


C'est un voile de lin doux qui chavire à la brise,
Recouvrant la fenêtre d'une maison pâlie.
Au travers,

J'aperçois vos visages,
Penchés, craquelés,

Parchemins dessinés de vos vies parcourues.
Douce lueur poudrée des regards crépuscule,
Chuchotements inaudibles de vos âmes froissées
Par le temps
Qui s'est tu,

Fatigué.
La partition s'achève.
Il fait brume en vos murs tapissés de tendresse.

Aux murmures quotidiens qui se font litanie
D'amour
Se tendent les doigts gourds
Et les yeux dépolis

Où se devinent encore les festins d'autrefois.

Françoise Jeurissen/Tinuviel - été 2008

 

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24 septembre 2008 3 24 /09 /septembre /2008 12:18


Je ne sais pas si vous connaissez ou aimez Lynda Lemay, mais j'ai toujours trouvé cette chanson magnifique (comme toutes ses chansons d'ailleurs !).

Et voilà que je tombe sur cette vidéo, où en plus de l'émotion contenue dans le texte,  la poésie de la traduction gestuelle vient encore rendre cette chanson plus bouleversante.

Bon, certains diront que c'est de l'émotion facile, ou que sais-je. Je m'en fous, j'ai eu envie de partager ça avec vous.



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16 octobre 2007 2 16 /10 /octobre /2007 13:24


La poésie contemporaine ne chante plus… Elle rampe
Elle a cependant le privilège de la distinction… elle ne fréquente pas les mots mal famés… elle les ignore
On ne prend les mots qu'avec des gants : à "menstruel" on préfère "périodique", et l'on va répétant qu'il est des termes médicaux qui ne doivent pas sortir des laboratoires et du Codex.

Le snobisme scolaire qui consiste, en poésie, à n'employer que certains mots déterminés, à la priver de certains autres, qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baisemain

Ce n'est pas le rince-doigts qui fait les mains propres ni le baisemain qui fait la tendresse
Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, mais la poésie qui illustre le mot.
Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds, ne sont pas des poètes, ce sont des dactylographes
Le poète d'aujourd'hui doit être d'une caste
d'un parti
ou du Tout-Paris
Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé

La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie. Elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche

L'embrigadement est un signe des temps. De notre temps

Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes

Les sociétés littéraires c'est encore la Société

La pensée mise en commun est une pensée commune


Mozart est mort seul, accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes
Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes
Ravel avait dans la tête une tumeur qui lui suça d'un coup toute sa musique

Beethoven était sourd

Il fallut quêter pour enterrer Bela Bartok
Rutebeuf avait faim
Villon volait pour manger

Tout le monde s'en fout

L'Art n'est pas un bureau d'anthropométrie

La Lumière ne se fait que sur les tombes

Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique
La musique se vend comme le savon à barbe
Pour que le désespoir même se vende il ne reste qu'à en trouver la formule.
Tout est prêt : les capitaux
La publicité
La clientèle.

Qui donc inventera le désespoir ?


Avec nos avions qui dament le pion au soleil.

Avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues", avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions


N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la Morale, c'est que c'est toujours la Morale des autres.

 

Les plus beaux chants sont les chants de revendications

 

Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations.

 

A L'ECOLE DE LA POESIE ON N'APPREND PAS


ON SE BAT !

---

léo ferré, extrait de l'album il n'y a plus rien

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19 février 2006 7 19 /02 /février /2006 19:32


Tout simplement les mots qui je mets sur une aventure aussi magique que banale : porter la vie.

 

Me voilà forteresse, gorgée de sève, gardienne d’une autre vie.
Éblouissement.
Puissance.
Promesse.
Humilité surtout. Je t’aime, petit bourgeon tranquille accroché à mes chairs, qui se balbutie en bulles douces, se décline en sensations indéchiffrables, et se nourrit de mon intimité.

Petite âme, tu m’as élue écrin de ta métamorphose. Pour un temps dont tu décideras, je serai ta passeuse, ton souffle, ton refuge, ton radeau vers demain. Complicité immatérielle, caresse intérieure, prière païenne, secret langage… mon ventre est une voile gonflée du vent lointain de terres fertiles. Il se tend et s’enroule autour de toi qui te loves, félin, dans mon antre profonde. Tu es là, blotti au plus doux de moi, tu prends tes aises, tu t’installes et t’étales, tu ronronnes et je me bastionne pour que rien ne vienne troubler ta quiétude.

Langoureux et chaud, ce pas de deux. Aucune fausse note ne vient en troubler l’harmonie délicieuse et sacrée.

Notre enfant… rencontre incarnée de nos fluides amoureux, partage fécond de nos plaisirs, petit fruit encore vert d’un couple mûri au soleil des jours enlacés, petit pois, petit poids mais si lourd déjà de nos passés imparfaits.

Mon enfant, toi que j’espère sans hâte, toi qui te ressources un instant d’éternité sur mon rivage intérieur, toi qui m’as confié ton âme et l’immense tâche d’y coudre à points dentelle les premiers mots de ton histoire… voilà que je te livre, sans regret et sans méfiance, mon plus précieux secret, celui qui me fait femme et déesse à la fois, celui qui fait que, par-delà les mots et les violences, j’entends le chant du monde résonner en mon sein. Écoute bien, enfant, tu l’oublieras si vite…

Et en attendant que tu aies fini ton voyage immobile au creux de ma chaleur, je te l’offre en partage, ce corps qui pour toi s’habille d’un voile de tendresse, pour te faire douceur de nacre au cœur de la moiteur. Ce corps qui avec toi pour l’instant ne fait qu’un, ce corps qui à jamais te sera protection et indulgence. Et j’en ris et j’en pleure, de ce corps aux formes bizarres qui ne pulse plus, farouche, qu’au rythme du fardeau qu’il berce.

Ma source abreuve quelqu’un d’autre, le temps de quelques saisons, de quelques lunes. Ce temps qui s’écoule, voluptueux et ralenti, au goutte à goutte de ta vie en herbe. Et je me sens riche, riche, riche.

Dis, petite âme, ne sois pas trop pressée…



F. Jeurissen
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30 janvier 2006 1 30 /01 /janvier /2006 21:30

Voici un texte qui, à l'époque où je l'ai écrit, m'avait été largement inspiré - entre autres - par la lecture du "continuum concept". Je ne l'avais pas réalisé tout de suite, mais après coup ça m'a sauté aux yeux.


Il est étendu là dans le noir depuis des siècles, des millénaires, à attendre qu’on vienne le délivrer.

Il ne sait pas - pourrait-il le savoir ? - quelle est la pire souffrance. La faim ? La peur ? La solitude ? Le froid ? L’impuissance ? Tout se confond sous le linceul glacé d’une indicible et abyssale angoisse. Une angoisse de mort.

Mais que sait-il de la mort ? Rien, il ne peut même pas en avoir l’idée. Mais il le pressent dans cette partie de son cerveau qui remonte à la nuit des temps. C’est l’angoisse de finir là dans cette obscurité, d’y rester pour toujours, incapable de se mouvoir, sa vie se diluant dans une éternité de douleur toujours reconduite. Son cœur, son ventre, son cerveau éclatant sous la cruelle et colossale violence des émotions ressenties, s’éparpillant dans ce vide, chavirant dans ce rien.

Parfois il crie, il hurle comme un damné, pendant des heures, pendant des vies. Pour rien. Il ne crie même plus pour obtenir un peu de douceur et de lumière, puisqu’il peut mourir tellement de fois au fond de son âme avant qu’elles ne reviennent. Puisqu’à chaque fois il en oublie même qu’elles peuvent exister.

Et puis vient le moment où, exténué, il ne peut plus que gémir spasmodiquement, sur une seule note faible et lancinante. Et la mélopée impuissante et désespérée finit par cesser de transpercer le silence épais de l’indifférence qui l’entoure. Il s’arrête, éperdu de douleur, la gorge incendiée, les yeux brûlants de sel, la poitrine hoquetante, la tête bourdonnante, à bout de souffle, à bout d’espoir.

Mais voilà que l’instant se suspend, que l’espace se dilate et se resserre autour de lui au rythme de son cœur emballé, la terreur monstrueuse hésite à refluer enfin. Car du fond de son puits de souffrance, lui parviennent des bruits lointains. Des bruits joyeux, des bruits vivants, qui réveillent en lui l’écho d’une autre époque. Des bruits chauds et bons, qui le font redoubler d’appels éperdus, malgré les brûlures de son corps épuisé. Parce que ces bruits ont soufflé sur l’espoir qui survit tout au fond de lui, et l’ont attisé un instant. Mais bientôt les sons étouffés diminuent, pour s’arrêter totalement sans la moindre délivrance. Harassé, il consent à se taire enfin, figé dans la désespérance.

Il finit par sombrer, vidé, dans un sommeil hors du temps, dans un coma libérateur. Et là son inconscient peut replonger avec délice dans le souvenir d’une autre époque, d’un temps où tout était différent. Il se rappelle alors la chaleur, la douceur, la félicité de son corps, aux besoins tellement vite comblés qu’il n’avait même pas le temps de les ressentir. Il se souvient en rêve de l’éternité de ces jours heureux, bercés dans un océan de chaleur enveloppante, rythmés par le battement assourdi et rassurant du cœur du monde. C’était une autre vie, un autre temps. Avant le cataclysme, avant le purgatoire.

Il s’éveille à nouveau, pour réintégrer sa terrible réalité. Il se tord de souffrance, pulse de mille hurlements dévastateurs, explose en mille fêlures. C’en est trop de cette solitude inhumaine et immobile, de cette obscurité sans fin. Il se déchire, ressent vaguement son esprit éclater en morceaux épars, impossibles à rassembler. Il n’est plus un. Il n’a plus d’humanité. Il n’y a plus de limite entre lui et l’enfer. Son cerveau trop meurtri va sombrer. Il n’est plus que douleurs et suppliques.

Et puis brusquement s’ouvre un pan de ciel, sur la lumière et la vie. Soudain cesse la torture, et s’illumine la nuit du grand silence de glace.

Des mains le soulèvent, le caressent, le réchauffent. Un liquide tiède et revigorant lui inonde les lèvres, et puis la gorge, et puis le ventre. Il peut se laisser aller à la volupté des goulées qui le revivifient, le ressuscitent. La tendresse universelle le submerge, son corps écartelé est enfin touché, reconstruit … il s’éclaire. Il redevient un, retrouve sa cohérence. Il vibre à nouveau au son de la pulsation familière du cœur du monde. Il se laisse caresser l’âme par cette voix ronronnante qui lui murmure des sons, des sons qui lui rendent la vie et la dignité. Il jouit et se berce sans retenue de cette voix aimée. Il est plein, il est rond, il est vivant autant qu’on peut l’être, il est confiance absolue.

Il a déjà oublié la souffrance et l’angoisse. Déjà oublié la solitude et le vide. Il vit l’instant présent, aussi voluptueusement comblé qu’on peut l’être.

Et il ignore, heureusement, l’éternel recommencement de ce jeu cruel.

* * *

- Et alors, ça va mieux maintenant, il est moins difficile ?

- Oui, j’ai suivi tes conseils, et il s’arrête de plus en plus vite de pleurer maintenant… Je crois qu’il a compris.

- Je te l’avais bien dit. C’est comme ça avec les bébés. Si tu cèdes à tous leurs caprices, tu n’en finis jamais. Il est capable de savoir que tu as besoin de temps pour toi et qu’il doit devenir autonome. Après tout, une nuit, ce n’est pas si terrible !

- Tu as raison. C’est vrai qu’il ne manque de rien dans son petit lit… Merci pour tes conseils.



Françoise Jeurissen - Tinuviel
2003 ?
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12 janvier 2006 4 12 /01 /janvier /2006 21:54

Un texte de Marypascal Beauregard, en réponse à l'argument fallacieux qui consiste à dire que "si tout le monde pense que", c'est que ça doit forcément être vrai.

   

Ben oui, forcément, la loi du nombre ... Je me souviens ...


Je me souviens d'un temps ou la terre était plate. Ou tout le monde
disait qu'au bout, on tombait dans un fossé immense, ou vivaient des
monstres qui se repaissaient des voyageurs inconscients ayant osé s'y
aventurer. Il y avait même un type, un fou dangereux, qui après
avoir étudié la question a suggéré qu'il pouvait en être autrement.
Par chance, les autorités ont vite sévi et menacé le con de prison...


Je me souviens des cris de mes soeurs, brûlées sur un bûcher parce
qu’elles avaient osé suggérer le pouvoir guérisseur des plantes,
avaient aidé des mères en couches, avaient dit que les humains
pouvaient vivre autrement que sous le joug de l'église... Par
chance, on en a exterminé tellement que leur "connaissance" est
presque éteinte aujourd'hui !! ce qu'il en reste est soigneusement
encadre par des lois, pour "protéger le public" ...


Je me souviens d'un type, un autre fou, (forcement, il a fini par se
suicider!) lui il disait que les médecins portaient sur leurs mains
de minuscules contaminants, venant des cadavres autopsiés, et que ces
substances faisaient mourir les femmes en couches. Encore plus fou,
il suggérait qu'un simple lavage des mains pouvait diminuer la
contagion !!


c'est vrai qu'en général, vaut bien mieux se fier a la loi du nombre,
sinon tu imagines, les femmes se mettraient a accoucher n'importe
où, de leur salle de bain au pied des arbres and so on ! »

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21 septembre 2005 3 21 /09 /septembre /2005 00:00

Extraits choisis du roman "parole de femme" d'Annie Leclerc

"... J'envisage, dansant de l'une à l'autre, les fêtes de mon sexe. Fêtes multiples où chacune est entière et n'a cure des autres.
Ni ordre ni hiérarchie entre elles ; toutes privilégiées, irremplaçables. Pas de pente à monter, de sommet à atteindre.

 (... )

Et si l'accouchement est le foyer central de mes emportements, et la pierre la plus dure de mon chemin, ce n'est pas que j'en fais la fête par excellence, ou celle à laquelle tendraient toutes les autres, mais c'est que l'accouchement est la fête la plus maudite, la plus persécutée et ravagée, où la répression fasciste de l'homme triomphe dans la torture

( ... )

... Soudain le bébé me flanqua une forte bourrade et je fus prise d'une irrépressible envie de pisser...

Je suis allée m'assoir pesamment sur le siège des toilettes en pensant à autre chose. Ca coulait. Je devais, comme chaque fois depuis un certain temps, fixer rêveusement l'extrémité lointaine de mes cuisses. Les genoux comme de petits rochers bien polis semblaient sortir directement du ventre. Depuis longtemps déjà je ne pouvais plus voir mes cuisses ; le sexe n'en parlons pas. j'avais du mal à penser que ces parties de moi me redeviendraient familières, immédiates.

Alors je devais rester là, sans pensée, les yeux dans le vague pendant que ça coulait toujours. J'ai fini par me dire qu'il y avait quelque chose de bizarre ; ça ne cessait de couler légèrement, continûment, et comme malgré moi, sans poussée musculaire. Et si... Je me suis levée , j'ai regardé. Mon coeur s'est mis à battre très fort ; pas de doute, c'était ça. Ce liquide laiteux qui s'échappait de moi, c'était sûrement les eaux, comme ils disent. J'y ai mis le doigt pour voir ; j'ai pensé au sperme.

( ... )

... Puis je commençais à me tortiller ; ça se bloquait à l'intérieur, ça tirait un bon coup, ça retombait. J'étais vraiment très embarassée, très perplexe, ça faisait bien quelque chose, mais mal ? Rien de moins sûr. J'ai dit à ma copine, tu crois que c'est ça ? Forcément elle n'en savait pas plus que moi là-dessus, mais à tout hasard elle m'a répondu en se marrant qu'on avait qu'à faire comme si c'était ça, parce qu'au fond, à bien y réfléchir, il y avait quand même des chances pour que ce soit ça. On a sonné l'ordre de départ. je me sentais extraordinairement gaie. je ne dis pas, il y avait peut-être de l'inquiétude derrière mon excitation joyeuse, mais je ne le sentais pas comme ça. Le souvenir que j'ai gardé de ce moment jusqu'à l'arrivée à la clinique est plein de rires.

Dans la voiture, c'est devenu plus net. A trois reprises ça s'est mis à rouler dans les hanches comme une vague, ça a monté, monté, ça s'est mis à tirer, écarteler, un truc à vous couper le souffle, et puis ça redescendait, la vague retombait comme elle était venue. Ma copine me demandait pourquoi je ne faisais pas "snif-snif" (respiration ASD).

A cause des autres, je n'osais pas être à ce que je faisais, et j'avais hâte d'y être. Je faisais seulement oh là là, ben merde alors, en secourant la main droite et en rigolant. J'étais extraordinairement, non pas honteuse, mais gênée de vivre ça devant eux parce que c'est quelque chose qui sort de nos moeurs, les insulte, les transgresse d'une verte insolence.

De tels éclats du corps, de tels triomphes de l'organisme, une telle évidence de la chair emportée, des os tirés, écartés, de sa puissance volcanique, ça ne peut pas se dire en face ; ça va absolument contre tout de dont nous sommes convenus entre nous, l'oubli du corps, son silence et sa discrétion.

Alors j'avais hâte d'être à la clinique, de faire ça toute seule, ou auprès de quelqu'un qui avait l'habitude d'accueillir cet évènement.

A vrai dire, il m'a bien fallu déchanter en arrivant à la clinique. J'imaginais sans doute qu'on allait m'accueillir, sinon avec des cris de joie, au moins avec des sourires de bienvenue. je croyais m'amener avec une bonne nouvelle ; à en croire la mine et l'humeur des infirmières, ça vait plutôt l'air d'en être une mauvaise, de nouvelle. Non seulement je me permettais d'arriver plus tôt que prévu (il paraît que d'autres s'étaient aussi permis de faire de sale coup, et ça manquait de chambres), mais encore je débarquais au milieu de la nuit, ce qui n'était guère poli.

Compte tenu de l'accueil qui m'était réservé dans une clinique tout ce qu'il y a de bien, j'ai pu me faire une idée de ce que ça devait êtrepour les malheureuses débarquant à l'hôpital, et dont l'humeur n'était pas aussi nécessairement joviale.

Quelles que soient les garanties d'hygiène et de sécurité apportées par l'hôpital, ou la clinique, l'accouchement pratiqué en série est ramené à la dimension de l'extraction dentaire, étant entendu qu'une femme qui accouche n'est MEME PAS malade, et qu'on lui fait une sorte de faveur en l'acceptant dans ces lieux réservés à d'autres. Le mépris, la déconsidération de cet évènement qui représente pour la femme le moment d'une épreuve extrême et cruciale de la vie, n'est autre que le mépris de la femme en général. Pas étonnant qu'elles continuent à vivre ça dans la douleur alors que ça devrait, que ça pourrait être vécu dans le bonheur. "Dites-vous que vous faites caca, allez-y, faites caca, vous faites caca...", me criait la sage-femme au moment de l'expulsion, croyant sans doute m'aider de cette façon et me donner de l'inspiration. Je n'ai rien contre le fait de faire caca, mais tout de même c'est pas ça que j'étais en train de faire. Elle m'aurait dit, allez-y, vous faites un enfant, que ça aurait marché aussi bien...

On m'a dit de me déshabiller, et je me suis fait une première fois engueuler parce quej e portais une culotte et qu'il n'en fallait pas, ou l'inverse, je ne sais plus. Je me suis allongée sur la table de travail, et pendant que j'écartais les jambes comme on me le demandait, j'ai entendu qu'on m'apostropahit pour la deuxième fois de l'extrémité de la pièce. Vous n'avez pas de robe de chambre ? Non, je réponds, on m'en apportera une, s'il faut. Soupir excédé.

Et c'est tou ce que vous avez apporté pour vous et le bébé ? Je réponds, ben oui. Cette fois, soupir accablé, désespéré. Et pourtant dans la petite valise écossaise que j'ai achetée exprès, j'ai mis tout ce qu'il y avait d'écrit sur la liste qu'on m'avait donnée. Je devais comprendre plus tard, en voyant les dentelles et les délicats froufrous des autres bébés, que j'étais une mère bien imprévoyante.

La sage-femme répète en se baladant dans la salle, "détendez-vous, détendez-vous, tout se passera très bien", alors qu'elle ne m'a pas encore jeté un regard, ni même serré la main. Moi qui n'étais pas le moins du monde tendu, je sens que ça pourrait bien me venir. Enfin elle s'approche de moi. C'est pour me raser les poils du pubis avec une brutalité experte et indifférente. Elle m'examine, et dit que j'ai fait du bon boulot déjà, en me flattant la cuisse d'une petite claque d'encouragement.

Bon boulot peut-être, mais moi j'ai eu vraiment à ce moment le sentiment qu'on me cassait le travail, qu'on m'abîmait tout, qu'on me rabaissait à moins que rien. Heureusement très vite mon corps s'est imposé de nouveau, oubliant, rejetant dans la fange irréelle ces empêcheurs de tourner en rond. Pour la sage-femme, c'était peut-être le 492e accouchement auquel elle assistait. Moi, c'était le mien, le premier, mort, naissance, emportement. La vie. Extraordinaire aventure que je voulais sans réserve.

Il y avait le moment étrange où tout s'apaisait, où mon corps se déliait de toutes parts, s'étendait immobile, recueilli dans le silence comme un lac au crépuscule. Et j'attendais, religieuse, les yeux clos, la montée de la prochaine vague qui allait me soulever. hauteur insoupçonnée, vertige ; ce qui commence à naître en moi est une sorte d'effroi sacré, de nudité grande comme le ciel.

J'ai oublié les autres. J'ai oublié les jambes en l'air, écartées, le sexe chauve, à l'air et dilaté, comme l'amour triomphant oublie la décence.

Et de nouveau mon corps se concentre, se resserre. Cela s'insinue, semble-t-il, par les cuisses. je prends mon souffle, je halète, et voilà que ça monte, ça ouvre, ça se répand, ça presse tandis que craquent les limites de mon corps. Une porte de bronze s'entrouvre en grinçant sur une sorte de nuit immense, jamais vue.

Au début, dans le choc de l'étonnement, me viennent des mots, plus que des images, qui cognent dans ma gorge avec mon souffle haché, labyrinthe, inquisition, schismatique, et toujours, avec cette bizarre idée, raide comme une lame fichée dans le ciel, au goût d'un noir triomphe : "ils ne m'auront pas". Qui "ils" ? Avoir quoi de moi ? La réflexion que j'ai pu faire depuis ne m'a pas appris grand chose là-dessus. Ils ne m'auraient pas, c'est tout, et je le savais dans la plus brûlante, la plus merveilleuse certitude. je "leur" avais échappé. Je leur échappais.

Au fur et à mesure que cela s'intensifiait je perdais, alos que le conscience, elle, allait se dilatant, toute conscience de moi, de ma vie. je perdais peur à peur tout ce qui antérieurement me faisait dire "moi", limites, temporalité, séparation. J'accédais à l'éblouissante conscience de la vie brute, la vie une et seule à travers toutes les formes fragiles, assaillies puis rejetées, la vie dépassante, folle, irrespectueuse de toute permanence, fondamentale, ivre...

J'ai perdu les mots mêmes qui me choquaient la tête. Je suis devenue immense, tentaculaire.

Plus vaste que la mer.

Plus vide que le ciel.

Plus fracassante que le tonnerre.

La terre s'est ouverte. Je vais mourir ou je vais naître. J'ai déjà disparu. Temps ultime. Le chaos gronde et se plisse. La montagne se ramasse et pousse la nuit. Cela ne se peut pas ; c'est trop.

Mort superbe. Désir éperdu, fondu à la pâte brûlante du monde. Cela ne se peut pas. C'est trop. TROP...

Ouverte encore, écartelée jusqu'aux confins...

Ainsi cette puissance, c'est moi, ainsi le monde et la naissance première du monde,et l'aube extasée de la nuit, c'est moi, ainsi l'immensité, c'est moi...

Pour l'unique fois la terreur la plus entière et la plus juste. La terreur aussi la plus religieuse. Conciliée à la Loi, portant et inventant la Loi qui m'anéantit, je tremble de ferveur, d'amour.

Puis vint le temps où je compris que je voulais sourdre de moi. C'est alors que m'est parvenue la voix subtile qui m'incitait à "pousser" comme si j'allais faire caca. Pousser ? Quoi pousser ? On pousse l'autre, celui qui est à distance, séparé, et auquel on imprime sa force. Pousser ? J'avais un pied sur le pôle sud, un autre sur le pôle nord, et c'est la terre dont j'étais grosse qui réclamait dans une incontrôlable exigence, le jaillissement...

Je me souviens de m'être empêchée de rire alors, d'une rire extraordinaire, illimité, qui s'emparait de moi. Rien n'existait, rien n'avais jamais existé de tout ce que les hommes considéraient avec sérieux. Toutes les choses multiples et bigarrées de l'univers, toutes les pensées graves n'étaient que les fragments retombés du rire éclaté d'un dieu.

Le monde n'existait pas, ni les vérités mathématiques de Descartes ni son Dieu si indéniable. J'étais seule à avoir phantasmé le tout.

Mais j'avais été trop loin, cela ne se pouvait pas. j'avais dépassé toutes les bornes. Impossible que vienne à l'être ce que j'avais conçu. J'allais m'arrêter là, aux limites extrêmes de l'enceinte que j'étais encore, j'allais me briser là dans ce désir hurlé d'apothéose.

Tout allait disparaître au bord de ce précipice. Nul et rien ne reviendrait jamais...

C'est alors que je fus brutalement ramenée à moi, forcée de l'intérieur d'une précise et irrépressible puissancve, qui devint plus que mon acquiscement, mon vouloir, mon affirmation-explosion même. J'ouvris les yeux, je vis mon corps, mes jambes que l'on accrochait en l'air, je vis mes muscles bandés, je vis mes mains crispées que je reconnus étrangement. je dressai la tête, et la sueur ruissela sur mon front, sur ma nuque. Je compris que je n'avais cessé de m'avancer, de tendre vers cette déchirante et suprême violence que je faisais, qu'on me faisait, que je voulais.

je fus saisie d'un paroxysme de violence. Quelque chose de dur, de rond, d'énorme, la terre enfin sortit de mon cri dilaté. et puis ce fut ce délice inoubliable, infini. Caresse exquise des petits bras chauds, ourlés, des minuscules doigts humides... Je sentis tout cela dans une telle extase que je fondis en larme. Puis mon corps eut un ultime hoquet d'agonie, et les fesses, les fines jambes fusèrent dans une gluante liqueur.

Le cri de l'enfant déchira le jour comme un tissu de soie.

Je fermai les yeux, coulant enfin dans l'eau lourde du bonheur, humeur épaisse de mon sang et de mes larmes."

 
Annie Leclerc

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21 septembre 2005 3 21 /09 /septembre /2005 00:00
extrait de la thèse du Dr Laure Marchand Lucas 'le généraliste face aux déterminants de la conduite d'allaitement"

IL ETAIT UNE FOIS

Il était une fois un petit garçon qui souffrait d'incapacité permanente. Il ne pouvait plus marcher. La nécessité étant la mère des inventions, sa famille lui organisa une simple paire de bâtons de bois pour l'aider à se déplacer. ces bâtons le soutenaient aux aisselles et avaient l'air bizarre, mais ils faisaient tout de même l'affaire. On nomma ce dispositif "béquilles".

D'autres remarquèrent que c'était une bonne idée et une sage invention, et ce ne fut pas long avant que ce dispositif ne soit adopté par des personnes souffrant de problèmes temporaires et moins sérieux. On remarqua aussi que ce dispositif possédait l'avantage très net de permettre aux jambes de se reposer. par conséquent, les personnes que la marche fatiguait aisément se mirent à les utiliser, elles aussi. Les béquilles devinrent tellement populaires que des promoteurs en mal de nouveaux marchés et des manufacturiers en débutèrent la production en série, et firent la publicité sur une large échelle. on en fbriqua pour tous les goûts : attrayantes, jetables, décorées ou non.De pleines pages publicitaires clamaient audacieusement : CE SONT PRESQUE DE VRAIES JAMBES !

Les gens en vinrent à croire que l'usage des béquilles et la marche étaient synonymes. la popularité des béquilles et la propagande en leur faveur augmentèrent à tel point que plusieurs médecins se mirent à recommander l'usage des béquilles au lieu de la marche pour prévenir les cors et les durillons aux pieds, car ces derniers représentaient des maux affligeant uniquement les marcheurs. ces médecins pensaient aussi que toute personne souffrant de verrues ou de contusions légères aux jambes ou aux pieds devait immédiatement arrêter de marcher. Bientôt les médecins virent de moins en moins de patients qui marchaient. En fait plusieurs d'entre eux ne voyaient que très rarement un marcheur.

Les gens commencèrent à croire que la capacité de marcher était reliée à la grandeur des jambes et il fut admis que cela ne donnait rien de bon d'essayer de marcher, puisque "la plupart des gens ne le peut pas de toute façon". On saluait les béquilles comme une nouvelle étape scientifique. les vieux se rappelaient avoir marché, mais ajoutaient rapidement qu'ils l'avaient fait par nécessité car, dans leur temps , ils n'avaient pas le choix.

Les jambes devinrent un symbole sexuel, un ornement inutile à ne pas mentionner devant les hommes. Il y en avait beaucoup qui ne voulaient pas marcher car ils craignaient que cet exercice ne déforme leurs jambes. les pauvres refusaient de marcher, même s'ils pouvaient difficilement se permettre les béquilles, parce qu'ils ne voulaient pas être différents de la classe moyenne. Le problème pris suffisamment d'ampleur pour justifier le gouvernement de pouvoir les pauvres d'autant de béquilles qu'ils en avaient besoin, par l'intermédiaire de programmes de bien-être social pour aider ces handicapés.

Les lieux publics étaient aménagés pour les usagers des béquilles et les marcheurs trouvaient de plus en plus difficile de se déplacer ou même de se faire accepter comme tels. les subversifs qui s'entêtaient encore à marcher et qui se justifiaient sur une base "naturelle" ou "thérapeutique", étaient considérés comme primitifs et parfois même obscènes.

Il était une fois un nouveau-né et à cause de circonstances spéciales, il fut séparé de sa mère. Comme on ne pouvait trouver de nourrice pour en prendre soin, on inventa un dispositif permettant de l'alimenter. Ce dispositif fut appelé "biberon"....



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18 septembre 2005 7 18 /09 /septembre /2005 00:00
Le temps de l'enfance...
Ce murmure qui parfois remonte, lancinant ou quasi inaudible, du plus profond de nous. 
Le temps de l’enfance. 
Le temps qui nous fonde tous, et que nous revivons tant bien que mal, un jour ou l’autre, à travers nos propres enfants. 

Que ce soit pour « faire pareil » que nos parents, ou justement pour faire exactement le contraire, notre attitude envers nos petits est presque toujours une réaction à notre propre enfance, quelles que soient les couleurs qui la caractérisent. Un miroir de nous. Une occasion unique d’apprendre à nous connaître enfin à travers la découverte de nos enfants, à nous respecter en les respectant, à nous aimer en les aimant.

Le temps de la petite enfance.
Le temps où l’on aime sans limites ni raison, où on donne de soi sans calcul de taux d’intérêt, où on pleure sans retenue, où on ouvre son âme sans mesquinerie.
Un temps pour vivre le nez au vent et l’âme ouverte, à l’affût de chaque instant qui passe, prêt à mordre dans chaque fruit sans préjugés.
Un temps pour rire comme des oiseaux ivres, avant que d’être endoctriné à croire que tout bonheur appelle un sacrifice, et tout plaisir une punition.
Un temps où les sentiments sont aussi limpides et tranchants que du cristal, où les émotions sont claires et puissantes.
Un temps où on éclate de bonheur comme de souffrance avec autant de sincérité à chaque fois.
Un temps où vivre n’est pas encore devenu un compte d’apothicaire, mais brille comme un tableau impressionniste.
Un temps où l’aube du monde peut encore se lire dans les yeux, où on danse la vie et la liberté d’être dans chaque mouvement.
Un temps pour être vrai.
Un temps qui mérite tout notre respect.

Et grandir, c’est quoi grandir ?
Pour certains d’entre-nous, malheureusement, cela a signifié se recroqueviller au fond d’une carapace de souffrance, et ne plus percevoir que le vague ressac d’un monde auquel ils n’auront plus jamais accès.
Pour d’autre, plus rares, ça a été s’épanouir et déployer leurs ailes, dans la confiance et le respect.
Pour tous en tout cas, une période lourde de signification.

Et être parent ?
C’est se débrouiller tant bien que mal avec tout ce fatras que nous traînons derrière nous. Tout un programme !
Etre parent, c'est une histoire à la mesure de l'enjeu primordial qu'elle représente : immense et magnifique.
Etre parent, c'est avant tout pouvoir être digne de ses enfants ...

L’enfance, et la manière dont on l’aborde, c’est le résumé de toute la condition humaine. 

Françoise Jeurissen - Tinuviel
Décembre 2003
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