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2 janvier 2006 1 02 /01 /janvier /2006 21:54
Par Jean-Philippe Joseph & Jean-Pierre Joseph

Source : http://infos.samizdat.net

Un pas vient d’être franchi dans la confrontation entre l’homme et la machine en milieu scolaire. Le 17 novembre vingt personnes habillées en clowns sont entrés en chantant dans le lycée de Gif-sur-Yvette. Alors qu’ils exécutaient une saynète, deux dispositifs biométriques contrôlant l’accès des élèves ont été détruits à coups de marteaux. Trois personnes ont été arrêtées, battues par un surveillant et des élèves. Elles seront jugées par le tribunal d’Evry le 16 décembre. Installés en 2004, ces dispositifs biométriques qui associent vérification de la paume de la main et frappe d’un code à sept chiffres n’avaient pas obtenu d’autorisation de la CNIL... peu importe.

Cette expérience n’est pas isolée. A Angers, dans une école primaire et un collège, c’est l’empreinte digitale qui donne accès à la cantine, à Gif sur Yvette, à Sainte Maxime, Marseille ou Carqueiranne les élèves introduisent leur main dans une machine qui en reconnaît le contour. Qui peut prétendre que prendre la main d’un enfant est un geste neutre ? « Il est apparu que certains élèves associaient la biométrie à des représentations infantiles d’angoisse. Certains petits ont même évoqué la présence d’un monstre à l’intérieur de la machine. Les plus grands rationalisent leur peur, mais ils l’expriment dans des termes assez proches : on a peur de se faire électrocuter en mettant la main dans la machine, par exemple. [1] » Au lycée Jean Baptiste Dumas à Alès c’est 90 caméras de vidéosurveillance, 104 au lycée J Rostand de Mantes la Jolie associées à un dispositif de gestion des absences par codes barres et stylos optiques.... Les technologies sécuritaires modèlent les espaces dans lesquels toute une génération se construit. Régulièrement, les experts consultés s’inquiètent de leurs conséquences sociales mais ces technologies originaires du milieu carcéral, promues ailleurs au nom de la lutte contre le terrorisme se propagent en milieu éducatif, sans débat, comme si vingt ans de discours alarmistes rendaient inéluctable la transformation des écoles en prisons.

Car la logique est bien carcérale. Elle s’ajoute dans les établissements scolaires à la multiplication des injonctions focalisant le rôle des enseignants et de l’institution au contrôle de la présence. Les récents remplacements de courte durée sont un pas de plus dans ce sens : l’important c’est de garder les élèves. Pudiquement,les enseignants regretteront que leur rôle soit de plus en plus limité à de la « garderie ». Mais la garderie est une démarche éducative qui s’appuie sur une formation et ne se limite pas à contraindre un enfant à la présence dans un lieu clos. Par ailleurs, à la différence de son application dans les aéroports, la biométrie à la cantine ne répond à aucune menace. Elle ne vise pas à empêcher une intrusion mais, officiellement, à contrôler la présence que ceux qui devraient être là. « Le principal du collège Joliot-Curie (de Carqueiranne) dit chercher à obtenir une « transparence absolue » : il s’agit de savoir en permanence, et en temps réel, où sont et ce que font les élèves, notamment s’ils mangent ou s’ils ne mangent pas. Dès lors, on ne peut pas s’empêcher de penser au panopticon de Bentham. [2] » Schizophrénie de ces établissements où le développement des visions panoptiques à grands renforts de vidéo, de biométrie et d’alertes par SMS place l’administration au centre quand les textes officiels [3] proclament depuis 15 ans que c’est l’enfant (ou l’élève) qui doit être « au centre » des institutions éducatives et sociales.

Avec la logique carcérale c’est le renforcement de la notion de frontière qui se développe par ces technologies. L’entrée des lycées est surveillée, l’extérieur est diabolisé. Les agressions, les vols, les trafics sont liés, dans les discours médiatiques et institutionnels aux intrusions : « on entre dans ce lycée comme dans un moulin ». La biométrie et la vidéo sont supposées protéger des élèves et un personnel vertueux du contact avec une plèbe étrangère. Ce « rêve politique de la peste » de Foucault, on le retrouve dans la diabolisation de l’extérieur, des non-scolarisés ou de ceux qui ont été exclus de l’école ou qui viennent de tel établissement suspect. Ainsi, cette « technologisation de la frontière [4] » de l’école se développe sur un discours xénophobe et éduque ces enfants à la suspicion de l’Autre. Le renforcement narcissique de ces insiders leur rappelle, contrôle après contrôle, leur appartenance à une communauté, par opposition au magma dangereux des outsiders. Pire, elle fait planer comme une menace d’exclusion le risque un jour de ne plus être contrôlé, générant de fait une demande de contrôle de la part des enfants eux mêmes.

Le développement de ces technologies marque également la progression des logiques policières à l’école. A cette époque où c’est le ministre de l’Intérieur qui demande une évaluation des ZEP, l’avènement de la vidéosurveillance et de la biométrie au détriment de l’encadrement humain réduisent les possibilités d’intervenir en amont ou pendant les conflits et cantonnent toute réponse à l’a-posterori. Alors qu’un surveillant pouvait intervenir pour tempérer les prémisses d’une bagarre, ou pour séparer, la vidéo ne fait qu’enregistrer un affrontement qui fatalement s’envenime jusqu’à son terme. Elle ne peut alors que témoigner de ses conséquences les plus graves et ne servir que de preuve, lors de l’investigation future. Car, ici encore, c’est bien l’un ou l’autre, l’homme ou la machine tant les moyens humains se réduisent au fur et à mesure que progressent les investissements dans ces dispositifs. Au lycée J. Rostand de Mantes la Jolie, le projet de 104 caméras de vidéosurveillance a ainsi été annoncé le même jour que la suppression d’un poste d’aide éducateur. A Alès, ces personnels ont d’abord été suroccupés à des tâches de bureau, notamment de contrôle des absences avant que les caméras soient installées. A Gif sur Yvette c’est peut être le désarroi de ce surveillant, « obsolète » dirait Anders, au milieu de ces technologies qui l’a poussé à frapper les clowns et à appeler les élèves à les battre. Alors, face au manque de personnel compétent et présent, la réponse qui s’impose aux administrations est policière. Les interventions policières dans les établissements, les patrouilles ou les arrestations se multiplient donc. Loin d’apporter la réponse définitive qu’on nous annonçait médiatiquement, pour certains élèves ce n’est que le retour à des situations d’affrontements quotidiens qu’ils ont appris à gérer : « oh ! la police vous savez, on a l’habitude ». Leurs yeux alors trahissent la déception : ils attendaient autre chose de l’éducation.

Ce qui subsiste aujourd’hui de la volonté de préserver une présence humaine pousse les conseils d’administration au recrutement de personnels sans formation, à des postes de vigiles pour un temps limité et de faibles salaires. Le chemin est alors tout tracé pour la privatisation prochaine de ces fonctions. Un enseignant d’anglais du lycée de Mantes remarquait avec tristesse qu’on enseignerait Orwell et Bradbury, écrivains visionnaires des sociétés de la surveillance généralisée, à des élèves lâchés ensuite dans des espaces dont les moindres recoins sont sous surveillance vidéo.

Cette avancée vers la privatisation, par ses aspects mercantiles mais aussi par la soumission des références éducatives à celles de l’industrie, est une composante fondamentale de ces processus. Pourquoi dépenser de telles sommes pour contrôler que des enfants mangent, alors même que l’accès à la cantine est un problème financier pour certains ? Pourquoi persister dans la vidéosurveillance lorsqu’une seule année de mise en place suffit à démontrer son inefficacité ? Pourquoi prendre tant de risques avec les implications que peuvent avoir sur ces enfants le contact avec des telles technologies ? Une réponse majeure réside dans les fabuleux budgets publics que représentent ces dispositifs pour les industriels, une autre dans la faculté des établissements scolaires à fabriquer de futurs clients pour ces secteurs.

Le livre bleu rédigé par le GIXEL (Groupement des industries de l’interconnexion des composants et des sous-ensembles électroniques ) à destination du gouvernement contient cet impayable passage à la rubrique « Acceptation par la population » : « La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles. Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes :
- Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.
- Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo. [5] »
Ceux qui sont familiers des méthodes de relations publiques reconnaîtront les stratégies de communication des firmes de l’agroalimentaire pour faire accepter les OGM.

La pression exercée sur les établissements pour une course à l’équipement (budgets spécifiques, limites dans le temps, débats bâclés...) les pousse à accepter des équipements sans mesurer les impacts de leur utilisation banale et encore moins ceux de leurs dysfonctionnements. Or, pour des documents aussi sensibles que les passeports biométriques américains, par exemple, The Economist notait que le système de reconnaissance adoptée échouerait à identifier une personne sur dix et que « les fausses alertes pourraient devenir la norme ». Faute d’être cryptées, les données des puces incluses dans les passeports pourraient être lues à distance et donc permettre le vol d’identité. Malgré tout l’investissement réalisé, les constructeurs promettent rarement une sécurité absolue (« taux d’erreur de 0,0001 % », « ne fonctionne pas au-dessous de- 8 °C »...) bien vite alors, l’humain est appelé en renfort pour composer un code secret, surveiller un écran... en périphérique de la machine.

Pourtant, les défaillances de ces technologies nous intéressent peu. Leur bon fonctionnement nous paraît déjà une défaite de la relation éducative dans son ensemble.

La CNIL rappelle fréquemment dans ses pathétiques tentatives de contrôle que l’usage de ces technologies doit être contraint par la « proportionnalité » entre l’exigence de contrôle et le processus utilisé et que chacun a « droit à l’oubli » ; les enregistrements sur « listes noires » et autres fichiers doivent pouvoir être effacés. Ce droit à l’oubli, fondement du droit est aussi un fondement de l’éducation. La relation avec l’enseignant est pour l’enfant un temps à l’abri, un temps de confiance ou la compréhension peut suivre l’erreur et permettre qu’on « oublie tout », qu’on « ferme les yeux pour cette fois », renvoyant l’enfant, lavé, à la possibilité de se racheter, de progresser.

La place de cette relation, entre humains, recule à mesure que progresse l’oeil froid de la machine qui vient conforter une pénalisation de rapports éducatifs dont la référence est la délirante théorie de la « vitre brisée » fondement des politiques de tolérance zéro. Si « qui vole un oeuf, vole un boeuf » ou « qui brise une vitre ouvrira le feu au fusil automatique ou dealera la cocaïne au kilo » alors sur les actes banals de l’enfance qui étaient source d’apprentissage bienveillant de la norme s’abattra une répression automatisée, implacable et démesurée véritable « pédagogie noire ». Le rapport parlementaire Benisti, sur la « prévention de la délinquance » qui préconise la création d’un "système de repérage et de suivi des difficultés et des troubles du comportement de l’enfant" mis en place non seulement dans les établissements scolaires (de la maternelle au lycée), mais aussi dans les crèches montre les liens qui peuvent exister entre une vision politique de l’enfance, une pathologisation de la délinquance et ces technologies hors de contrôle.

L’enregistrement préalable des paumes de main des élèves est appelé « l’enrôlement » et l’administration appellerait en début d’année ces enfants à se « soumettre » à la biométrie. Est-il ironique de rappeler que la déclaration universelle des droits de l’Homme dans son article 26 lie l’éducation à la liberté lorsqu’elle proclame : « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » Comment imaginer former des hommes et des femmes libres, usagers de leurs libertés et familiers de celles-ci si on les familiarise dès l’enfance aux chaînes, fussent-elles numériques et modernes ?

L’action du 17 novembre sur les deux dispositifs biométriques du lycée de Gif-sur-Yvette, a peut-être simplement remis ces machines à leur place et nous donne une occasion unique de réfléchir au tournant que prennent les politiques de l’enfance, qu’elles soient éducatives, sociales ou judiciaires. Qu’a-t-on à gagner dans la course à la soumission des enfants et des personnels à des technologies qui les déshumanisent et les cantonnent à des rôles d’automates apeurés, de périphériques, et leur font perdre tout le génie et la créativité de leur humanité ? Jusqu’où sommes nous prêts à sacrifier cette génération au Moloch de la technologie et du marché ?

[1] Xavier Guichet : « Manger sous surveillance, L’usage d’une technique biométrique pour le contrôle d’accès à la cantine scolaire »

[2] idem

[3] Loi du 10 juillet 89 d’orientation sur l’éducation, loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médicosociale.

[4] Philippe Bonditti« Technologisation de la frontière : vers un état de peste généralisé ? », Chantiers Politiques, ENS, Paris, n°2, Oct. 2004

[5] « Livre bleu, grands programmes structurants, proposition des industries électroniques et numériques », juillet 2004


Article publié sous license No Copyright
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13 octobre 2005 4 13 /10 /octobre /2005 00:00

Un fait divers à Molenbeek : une adolescente de 13 ans a accouché en secret dans sa chambre, et a jeté le bébé par la fenêtre du 13è étage. Ses parents n’avaient semble-t-il rien remarqué de sa grossesse ni de son accouchement … Le bébé n’a été retrouvé que quelques heures plus tard … encore vivant.

Il est décédé peu après malgré les soins.

 

Je peux difficilement imaginer la détresse dans laquelle doit se trouver une gamine de 13 ans qui se retrouve enceinte, dont les parents ne remarquent rien et à qui elle-même n’ose rien dire, qui se retrouve à donner naissance entièrement seule dans sa chambre, et perd ses repères au point de balancer le bébé par la fenêtre en espérant que personne ne soupçonnera rien …
Que dis-je ... je n'imagine même pas du tout. Comment le pourrais-je :-(

Nous ne pouvons évidemment rien juger de cette situation, ne connaissant ni la vie de cette famille, ni les circonstances qui ont conduit à ce drame, ni que pouvait être le quotidien de cette gamine.
On ne peut que rester là, à essayer de concevoir qu'une chose pareille a bien eu lieu, et à tenter de rester humain au milieu des émotions contradictoires que cela peut susciter en nous.
Une enfant a accouché d'un bébé dans la solitude la plus totale, et deux vies sont irrémédiablement foutues.

 

Je voulais « simplement » rebondir sur ce fait divers atroce pour rappeler qu’il existe maintenant en Belgique un numéro gratuit, le 103, qui est celui d’ « écoute-enfants ». On peut y appeler gratuitement 24h/24 et 365 jours sur 365.

Ce numéro est destiné à tout enfant vivant une situation difficile ou qui a simplement besoin de se confier, d’exprimer son désarroi, de poser des questions, d’être orienté vers une aide quelconque …

Des psychologues, des assistants sociaux et des « professionnels » de l’enfance y reçoivent toutes les demandes et peuvent – éventuellement – venir en aide à des enfants en détresse.
Et surtout, les écouter, les recevoir, les accepter.

 

Ce numéro 103 aurait-il pu sauver ce bébé, ainsi que sa mère-enfant probablement détruite psychologiquement pour le restant de ses jours ? Je l’ignore, mais je pense qu’il est bon de le connaître et de le faire connaître à tous les enfants et tous les jeunes qui pourraient un jour, pour n’importe quelle raison, préférer se tourner vers une aide « impersonnelle » plutôt que vers une famille qui – à tort ou à raison - ne leur inspire plus confiance.

De plus, pour l’avoir déjà vécu dans des moments où j’allais très mal, le simple fait de pouvoir se libérer, se confier, recevoir une écoute, même et surtout de la part d’un inconnu, peut-être salvateur.

 

En tout cas moi, je vais en parler à mes enfants … on ne sait jamais ce qui peut se passer dans la tête d’un môme ou d’un adolescent, même « heureux » selon nos critères d’adultes …

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