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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 10:44

Trouvé ici, sur le site d"On peut le faire", un texte lumineux et dérangeant de France Guillain, auquel j'adhère à 100% !

 

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« Trop de sécurité rend stupide », ainsi pourrions-nous résumer la thèse de France Guillain, globe-trotter impénitente. Vivre pleinement, c'est accepter de prendre des risques et de renoncer aux fausses sécurités de la vie moderne.

Dans notre cerveau, comme chez tous les êtres vivants, il existe ce que nous avons longtemps appelé la « zone de la récompense ». Aujourd'hui, les neurosciences nomment ce noyau accumbens, ou plus communément NAc. C'est un ensemble de neurones et de matière blanche intelligente qui assure à tout moment notre survie en nous envoyant des signaux de plaisir, de déplaisir ou de douleur. Si le NAc ne fonctionne plus, nous n'avons plus ni plaisir, ni douleur, nous ne sentons rien si l'on nous coupe la main.

Or, il ressort que plus ce noyau du cerveau est obligé de travailler, plus notre intelligence est vive. Inversement, moins il est sollicité et moins l'intelligence est vive. L'expérience montre qu'une poule d'élevage dont la survie est assurée par un enclos, la protection contre les prédateurs, la nourriture abondante, un abri contre les intempéries, une poule en totale sécurité qui ne fait plus travailler son NAc devient stupide. Placée dans un filet de foot avec de la nourriture de l'autre côté, elle passera la journée à courir d'un bord à l'autre du filet sans jamais avoir l'idée de le contourner pour aller chercher le grain. Elle n'aura pas l'audace de franchir les limites de ce qui est pour elle la barrière que l'on doit respecter. Une poule sauvage et même un poussin sauvage contourneront immédiatement le filet.

Les peurs qui nous emprisonnent

Il en va très exactement de même avec les humains. Peu d'êtres humains arrivent à sortir spontanément des limites que leur éducation leur a imposées. La surabondance de sécurités matérielles, contre les intempéries, dans les déplacements, la perte de vigilance alimentaire (on compte sur le ministère de la Santé), après avoir facilité la vie et permis de développement la pensée aboutit par excès, à l'effet inverse. À force de s'assurer contre tout, on n'est plus jamais responsable de rien et surtout pas de soi. La maladie est regardée comme une menace venue de l'extérieur. De toutes parts, on fuit la responsabilité et joue sur les mots, tel le « responsable, mais pas coupable » d'une ministre dans l'affaire du sang contaminé. Tout excès est préjudiciable. À force de ne plus penser qu'à la sécurité, ce qui au départ devait nous rendre plus humains aboutit à nous déshumaniser. Ce n'est jamais de notre faute, nous en perdons le coeur, l'intelligence même, la raison, nous passons à côté du bonheur !

Lorsqu'en 1967, époque bénie des trente glorieuses où personne ne pouvait manquer de travail, je m'apprêtais à traverser l'Atlantique avec un bébé de vingt jours sur un voilier de neuf mètres sans électricité, sans eau courante, sans même de téléphone ou de radio pour communiquer avec la terre, nous cherchions un équipier pour un mois. Juste un mois. Il nous semblait évident que tous les jeunes de notre âge seraient fascinés, ravis de faire une telle traversée, vers les Antilles. En effet, la fascination était là, très grande. Nous nous sommes adressés essentiellement à des jeunes qui étaient libres. Les réponses furent : « J'en rêve ! C'est extraordinaire ! Mais il y a ma copine, ma mère, ma voiture, ma moto, ma grand-mère, le chat, le chien... » Partir sur les mers pour un petit mois de traversée était le bout du monde, le fameux « filet impossible à contourner ».

Or, de récentes études en psychologie montrent que les regrets qui nous minent, ceux qui peuvent nous faire le plus de mal, ceux qui entament l'estime de soi et peuvent nous faire glisser vers la déprime et avec elle la maladie, ce sont les regrets non pas des bêtises que nous avons faites, mais les regrets de ce que nous n'avons pas osé tenter.

La jeunesse, ça s'acquiert

Seuls ceux qui sont assez fous pour croire qu'ils peuvent changer le monde y parviennent et gardent toute leur vie la puissance, la force, la passion de vivre, la vraie jeunesse. Dans Le Tiers Instruit (1), le philosophe, homme de sciences et académicien Michel Serres explique que nous naissons vieux et que la jeunesse se conquiert et s'acquiert. Il explique que pour évoluer nous devons traverser la rivière. Que jusqu'au milieu du fleuve, nous pouvons toujours faire demi-tour, revenir en arrière. Mais une fois franchie la moitié du parcours, nous ne pouvons plus faire autrement que d'avancer vers l'inconnu, atteindre l'autre rive. Avec le risque de mourir, de ne plus être reconnus par les nôtres, le risque même d'être rejetés, car nous avons changé, évolué. C'est pourtant la seule façon de grandir, d'ouvrir l'intelligence et le coeur d'un homme, d'un peuple, de l'humanité.

Une autre image est celle de l'enfant prodigue de l'Évangile. Un homme avait deux fils. L'aîné très sage, a fait tout comme papa. Il a travaillé à la ferme. Le second est parti à l'adolescence avec sa part d'héritage. Il a voyagé, vécu des expériences amoureuses, découvert le monde. Il s'est retrouvé sans travail, malade piteux. C'est alors qu'il est retourné chez son père pour y travailler. Son père, extrêmement heureux de retrouver le fils perdu organisa une grande fête qui scandalisé le fils aîné qui n'en avait jamais eu autant et piqua une belle crise de jalousie. Une interprétation un peu simple dit qu'il y a plus de joie pour une brebis égarée retrouvée que pour un troupeau entier resté au bercail.

Une analyse plus affinée montre que le père est très fier de ce fils qui a osé enfreindre la loi du père, de ce fils qui a pris tous les risques et en est sorti vivant. Car lui seul fait évoluer l'humanité. Le fils aîné est dans la simple reproduction, il reproduit à l'identique le père. Il ne fait pas avancer la conscience humaine. Le fils prodigue, lui, oblige tout le monde à se remettre en question, à réfléchir, à s'interroger sur le sens de sa vie. C'est tout l'enseignement de ces écrits, la loi est au service de l'homme et pas le contraire. La loi du père est faite pour être dépassée à chaque génération qui met à chaque fois la barre plus haut, qui créée de nouvelles lois qui seront à leur tour franchies. Ainsi va l'humanité passant de la peine de mort à son éviction, du mépris des pauvres et des malades aux droits de l'homme, du mépris de l'enfance au concept « le bébé est une personne ».

Mais où est donc passé notre goût de l'aventure ?

Tout cela passe nécessairement par la prise quotidienne de risques. Par le goût de l'aventure.

Boris Cyrulnik (2) nous dit qu'il y a deux sortes d'hommes, ceux qui sont rassurés de savoir ce qu'ils feront demain et ceux qui sont inquiets de savoir ce qu'ils feront demain. Il y a 2500 ans, Platon, dans le Dialogue de Critias déclarait : « Il y a trois sortes d'Hommes : les Vivants, les Morts et Ceux qui vont sur la Mer ! » Je fais résolument partie de ceux qui n'aiment pas du tout savoir ce qu'ils feront demain et de ceux qui partent sur la mer puisque j'ai passé 22 ans à la voile à travers les océans. Sans assurance d'aucune sorte, sans SAMU ni salaire garanti, sans assurance sur la vie ou sur la mort, sans aucune autre aide que moi-même pour me maintenir, ainsi que mes enfants, en bonne santé, étudier sans école, nous déplacer sans satellites avec une énergie gratuite : le vent. Du vent, rien que du vent !

Or il apparaît aujourd'hui que nous vivons dans un monde où la recherche de sécurité atteint des sommets. Des sommets aveuglants qui empêchent de voir, de comprendre, de penser, de réfléchir, de vivre tout simplement. Nous sommes bardés de sécurités plus ou moins obligées par la loi, sécurités qui, par leur surabondance, engourdissent notre esprit, tuent l'intelligence et la créativité, tuent l'imagination. Ainsi dans notre pays qui produit des diplômes de haut niveau, nous en voyons tous les jours qui cherchent du travail désespérément. Ces diplômes valent de l'or sur le reste de la planète. De plus avec Internet, la webcam et le téléphone, les avions, les distances n'existent plus, le monde est si petit ! Et bien, comme en 1967, on me répond « J'en rêve ! C'est extraordinaire ! Mais il y a ma copine, ma mère, ma voiture, ma moto, ma grand-mère, le chat, le chien... » et puis « je ne veux pas quitter ma ville, mon pays ». Alors, on ne pleure pas ! Désolée ! On assume son incapacité à être citoyen de la planète Terre, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous ne pouvons pas continuer de nous multiplier et trouver du travail dans un espace déjà saturé de compétences. Un niveau de troisième en France vaut une maîtrise ailleurs. À condition de ne pas essayer de se faire payer le diplôme, mais les compétences !

À vouloir assurer sa sécurité de l'emploi, calculer chaque une retraite hypothétique, pouvoir tuer (en voiture) sans passer sa vie à trimer pour faire vivre la famille des survivants, pouvoir tuer (ou se tuer) en fumant, en buvant en toute quiétude puisque la Sécu paie, on finit par perdre sa dignité, son âme. On accepte toutes les humiliations, les mutilations, les lâchetés. Et en plus, on se sent coupable, minable et on sait qu'on a raison de le penser ! On perd peu à peu la passion, l'enthousiasme, la joie de vivre, l'émerveillement, la lumière dans les yeux.

Des bébés déjà conditionnés

Dès la petite enfance, nous sommes privés du plaisir de l'aventure et du risque. Cela commence par la grenouillère, le combiné que l'on met aux bébés. Vous connaissez ces combinaisons si jolies, en mousse élastique, ces sacs dans lesquels on enferme les bébés dès la naissance pour qu'ils n'aient pas froid, ni aux jambes, ni au ventre. C'est tellement mignon ! On dirait de vrais nounours pour jouer à la poupée ! Sauf que... Essayez d'imaginer que vous passez ne serait-ce que 24 heures d'affilée dans une telle combinaison. Vous ne pouvez pas écarter les doigts de pieds librement, vos orteils se plient peu à peu à la forme future des boîtes à pieds que nous nommons chaussure. Vous ne pouvez pas découvrir votre souplesse et votre corps en tétant votre gros orteil, vous ne pouvez pas explorer votre zizi ou votre nombril, vous ne pouvez pas sentir sur vos jambes l'air qui circule dans la pièce. Vous ne pouvez pas agripper le sol de vos orteils pour apprendre à marcher à quatre pattes. De plus, la couche merveilleusement absorbante vous garde les fesses et le sexe au chaud des journées et des nuits entières, ce qui est très dommageable pour votre santé (3) ! Vous passez votre vie entre berceau, baby-relax, siège bébé de voiture, poussette, parc, puis crèche, salles de classe, garderies, cours d'école, maison, pédiatre et PMI et j'en passe.

Or un enfant est fait pour vivre dehors, grimper aux arbres, nager, courir, jouer avec la terre et le sable (le vrai, pas celui d'un bac à sable !), sa peau doit recevoir la lumière naturelle hiver comme été, mais on a peur qu'il ait froid et on lui collants, joggings, pantalons, toujours pour sa sécurité. Une sécurité factice puisque les jeunes enfants n'ont jamais eu les os aussi fragiles qu'aujourd'hui, par manque de rayonnement solaire sur leurs jambes, ce qui n'était pas le cas en 1960 ! Songez qu'un bébé, un jeune enfant, passe chaque jour de la maison à la crèche ou à l'école, se déplace dans des cages ambulantes que l'on nomme vêtements, ne montre que le visage et les mains à la lumière solaire que le temps des récréations « quand le temps le permet ! » On ne prend aucun risque, même pas celui de s'enrhumer, ce qui d'ailleurs n'empêche rien, au contraire !

Pourquoi s'étonner alors si à l'adolescence, comme le fils prodigue, les jeunes se mettent en danger, ne serait-ce que pour se servir normalement de leur cerveau ? Pour se sentir exister. Pour se sentir vivants. Cela explique aussi pourquoi aujourd'hui nous assistons à des défis de plus en plus osés, tels la traversée des océans à la rame, en planche à voile, à skis. C'est admirable, mais pas toujours indispensable. Lorsque qu'il y a 50 ans, le docteur Alain Bombard se laissait dériver sur son canot à travers l'Atlantique, ce n'était pas pour relever un défi, mais tout simplement pour étudier les conditions de survie des navigateurs en perdition. C'est à Alain Bombard que nous devons la qualité de nos radeaux de survie.

Plus que jamais, aujourd'hui, nous vivons l'aventure et le risque à travers une poignée de fous de l'aventure, mais aussi et malheureusement par la violence des films et de l'information, ce qui nous conforte dans la légitimité de toutes les assurances dont nous nous entourons. Ce qui aussi nous empêche d'agir, d'imaginer des solutions, d'imaginer des actions qui pourraient aider l'humanité à vivre mieux.

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commentaires

B
<br /> Un bonheur, cet article... Ce qui me questionne le plus dans cette société d'abondance (et de gaspillage) est la désensibilisation qu'elle provoque dans tous les domaines qui impliquent nos<br /> corps. Ainsi des comportements alimentaires qui reviennent à se couper la faim plutôt qu'à se nourrir (en ressentant le plaisir de la satisfaction), ainsi d'une sexualité qui met en exergue<br /> l'excitation au détriment du désir, ainsi des nombreux besoins artificiels créés par nos habitudes de consommation, mais aussi des réactions contre ces comportements et ces besoins, des punitions<br /> et privations que l'on inflige au corps, des passions que l'on s'interdit de vivre... Sortir du cercle infernal de la puntion et de la récompense ! Lisons Epicure... :-)<br />
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