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12 janvier 2006 4 12 /01 /janvier /2006 21:43

Cette naissance a été pour moi une belle aventure humaine...la naissance de Céleste ma première fille en avril 2000 m'avait laissé comme un goût de trop peu, la sensation d'avoir frolé je ne sais quoi... Cette sensation est venue avec les mois; pas directement apres la naissance...
Apres une rupture de la poche des eaux chez moi, une peri posée à 5 cm après avoir travaillé au bain et au ballon, j'avais dormi deux heures le temps d'être à complète...et de devoir pousser contre nature allongée les 4 fers en l'air. Expulsion de 58 minutes avec la tête de ma fille mal inclinée (vers l'épaule). A part cette expulsion décevante le reste avait été tres chouette et vécu de façon dynamique avec mon époux...

Pour ma deuxième grossesse j'ai cherché à tout prix la possibilité d'un accouchement vertical....ou autre mais j'avais l'intuition que l'expulsion (quel vilain mot) pouvait se vivre de facon différente. En fait je voulais faire autrement... Je n'étais plus une jeune femme à sa première grossesse mais une mère qui avait appris à suivre ses intuitions !
Cette démarche chez moi est toujours suivie d'une boulimie d'information, j'avais déja lu pour ma première grossesse mais sans sortir des sentiers re-battus et la péridurale était une évidence à mes yeux ..le fameux exemple du dentiste! J'avais pourtant deja gouté au travail actif et réclamé une télémétrie..mais on m'a posé la péri quand ça devenait juste "trop".

Déjà je souhaitais faire suivre ma grossesse ailleurs qu'à l'hosto...je hais leur salles d'attente et cette impression d'examen aussi sympa que soit le gynéco, on ressort toujours avec trop peu...
J'ai donc trouvé une sage-femme qui exerce à 5 kms de chez moi, elle pratique essentiellement des accouchements à domicile mais a un accès au plateau technique dans deux maternités.
Ma meilleure amie avait deja accouché dans l'une d'elle et m'avait vanté leur coté non interventionniste...Mon choix était fait...

Venons-en au jour de la naissance d'Héloïse.
Le déroulement de cette journée est pour moi tres révélateur....mais je ne l'ai compris que le lendemain, enfin je ne l'ai "rationnalisé" que le lendemain...
Le matin donc je me lève avec des contractions régulières et douloureuses...je demande à mon mari de conduire notre ainée chez la gardienne et je téléphone à ma sage-femme...ensuite je donne le feu vert à Thibaut pour qu'il aille au boulot

La sage-femme passe vers 9h, je suis à 3 cm, je perds du mucus sanglant, ça bosse mais rien d'inquiétant...elle me propose de reprendre contact deux heures plus tard pour voir ce qu'il en est. Mes contractions restent régulières mais sans évolution ni plus de douleurs, rien....On décide donc vers midi d'attendre encore... Je vais faire une sieste et plus rien! Un faux travail ?
Entre temps Thibaut et ma sf ont essayé de me joindre tour à tour et paniquent légèrement (je suis seule à la maison), je les rassure ..c'est le calme plat... 18h30 retour de Thibaut et de Céleste et...des contractions ! Plus fortes cette fois...je demande à Thibaut d'appeler ma sf, on se donne rv à l'hosto, 19h on embarque Céleste et on la laisse dans les mains de sa mamy sur le parking de l'hôpital (elle habite à deux pas).
20h arrivée aux quartiers d'accouchement, une sf fatiguée nous accueille. C'est long je m'accroupis et me relève en déambulant dans le couloir. Elle nous installe et me fait un toucher vaginal pour donner la situation à ma sf avant qu'elle n'arrive....je suis toujours a 3-4 cm. Elle me fait un mal de chien, je la regarde avec haine puis je me dit patientons ma sf arrive je m'en fiche de celle-la !
Elle me pose une voie au cas où (j'étais ok) et me demande un monitoring d'1/4h soit...je me laisse ligoter...et elle disparait en nous laissant, au bout de 20 minutes je rale, de 30 je m'assied....finalement ma sf arrive je me sens revivre!!!! Enfin je vais bouger..de toute façon j'avais convaincu Thibaut de m'enlever ce p***** de monitoring.
21h ma sf me propose un bain apres m'avoir delivrée, j'accepte...on discute et elle m'examine dans le bain pour voir où c'en est (2e tv) tout en douceur..je ne sens rien...ça n'a pas bougé...Elle me parle d'une éventuelle amniotomie car ca n'évolue pas depuis ce matin et ma tension monte....je ne suis pas tres convaincue ..on se donne un peu de temps..elle est très zen....
22h je sors du bain et je commence à déambuler, les contractions deviennent plus puissantes, Thibaut et la sf me masse....la sf de garde de l'hosto (une autre, fraîche) est arrivée entre temps, elles ont deja préparé le tabouret de naissance, des alèses etc..je m'en rend vaguement compte, j'ai mal...Thibaut me chuchote prends une péri...moi : Non !
Elles me demandent de m'allonger pour voir où c'en est et éventuellement percer la poche je veux bien mais à peine allongée je me relève, c'est insupportable. Finalement je me laisse allonger et, bonne nouvelle, la dilatation s'accélère : 5 cm et le travail actif commence enfin, on oublie donc cette idée d'amniotomie.
La je vais m'asseoir sur le ballon, je roule mon bassin, je me démène, je me bloque, ça ne va pas et puis peu à peu j'apprivoise ces sensations de plus en plus puissantes, à un moment je dis que je ne vais pas tenir que je veux autre chose (sous entendu une péri) on me retorque que ca va aller vite je n'entends plus, je commence à moduler des sons à chaque contraction, d'abord sourdement et puis de plus en plus fort, ça devient un cri très puissant, je crie je hurle et ca m'aide merveilleusement, je sens mon corps accepter, s'ouvrir, je me laisse complètement aller comme je me suis parfois laissée aller dans l'orgasme. C'est fort et puissant, je suis roulée par des vagues, la seule fois où je tente de prendre pied c'est horrible alors je me laisse à nouveau porter. A un moment je ressens le besoin de me suspendre au cou de mon mari puis soudain je descend ou plutot je tombe en avant de ce ballon, je me mets à 4 pattes, j'ondule, je sens que ma fille arrive, je sens sa tête traverser mon bassin, les eaux coulent, je ne pousse pas, ma fille arrive, ma fille s'en vient, je percois le remue-ménage autour de moi, on veut oter ma culotte, je refuse de bouger, on veut que je m'assoie , je suis incapable de revenir à la realité, d'écouter ce que j'entends vaguement, finalement j'entends ma sf qui me dit "tu veux rester comme ça" et celle de l'hosto me dire "il faut vous asseoir, on ne va rien voir sinon", je ne sais dans quel effort je me laisse asseoir sur le tabouret, Thibaut est derrière moi, je sens Héloise elle sort, on me dit d'attendre, de pousser, je n'obéis pas, je laisse ma fille sortir toute seule (le fameux réflexe d'expulsion) c'est merveilleux, la tête j'aillit, je sens les deux sf dégager les épaules, on me pose un truc chaud dans les bras c'est Héloise et elle est douce gluante et merveilleuse et je plane.... il est 23 h.

La suite c'est Héloïse dans les bras de son papa, maman qui tremble pendant qu'on recoud la déchirure stade 1-2 et un sentiment intense d'épanouissement......

Après ce récit d'émotions les quelques réflexions que ca m'inspire : je ne parlerais plus jamais de "mon accouchement" et encore moins du gyné qui "m'a accouché" car cette expérience m'a appris que le seul acteur c'était le bébé...et ce n'est qu'en arrivant à lâcher prise que ma fille est venue au monde !
L'influence du mental m'a sidérée...mon travail s'est interrompu la journée tant que mon mari était absent pour reprendre à son retour et s'interrompre à nouveau avec la première sf qui m'a bloquée et re-reprendre à l'arrivée de ma sf perso, je lui ai dit texto à son arrivée " maintenant je vais pouvoir bosser".
La barrière des 5 cm était importante aussi pour moi car c'est la que j'avais eu ma péri pour Céleste, derrière c'était l'inconnu total.
J'avais finalement deux sf avec moi celle de l'hosto par intermittence, un peu dirigiste mais très humaine, dont j'ai écoutée la voix parfois pour arriver à me mettrre dans le courant qui m'emportait et celle de ma sf, tres zen , peu interventionniste, douce et respectueuse de mes désirs ...aucune ne m'a dérangée car je ne les entendais que aucune ne m'a dérangée car je ne les entendais que quand je le voulais..ce qui est marrant c'est
que j'ai l'impression d'avoir accouché dans le noir, soit j'avais les yeux fermés soit j'étais tellement centrée, concentrée que mes yeux n'ont rien enregistré !
J'ai pu construire ma bulle et arriver à lâcher prise et ça c'est merveilleux...
Pour moi le secret est là ..lâcher prise, laisser bébé faire...

Je pense que cette expérience va apporter une nouvelle densité a ma vie ! J'en ai déja senti les effets....

Cela dit j'ai une pensée très forte pour toutes les mamans qui accouchent sans péri, ligotée à un lit et sans aucun accompagnement...sans être préparée, sans en avoir fait un choix, ça doit être l'enfer.................
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5 octobre 2005 3 05 /10 /octobre /2005 00:00
Pour entamer la série des témoignages, voici tout d'abord le récit de la naissance de mon petit dernier, Lorenzo (15/12/2002), sous forme de tryptique. L'évènement est raconté quelques jours après, respectivement par moi, par son père, et par Jean-Claude, qui nous a accompagnés pour cette venue au monde.

Je ne suis pas certaine du tout de pouvoir "raconter" cette expérience de l'attente et de la naissance de Lorenzo, je ne suis même pas sûre de la tournure que va prendre mon récit, mais je me lance parce que j'en ressens le besoin, avant d'avoir pris trop de distance par rapport à cet évènement.

Mais comment raconter ? Raconter les faits, raconter les émotions, raconter l'interprétation que j'en ai ... ? J'essaye, on verra bien ce que ça donnera :-)

La grosse angoisse de ce troisième trimestre de grossesse a été pour moi d'accoucher trop tôt ; trop tôt pour pouvoir rester chez moi, trop tôt pour que mon petit soit autonome, trop tôt quoi. Je ne me sentais pas capable d'affronter un accouchement à l'hôpital, avec tout ce que ça implique comme négation de soi et comme violence, ni un éloignement d'avec mon bébé ... pour mon quatrième et très probablement dernier enfant, ça aurait été d'une tristesse infinie... Conclusion : dès 29-30 semaines, j'ai eu beaucoup de contractions douloureuses et fortes, un col qui pinçait et tiraillait, une tête de bébé qui pesait lourdement dans mon bassin et semblait l'écarter chaque jour davantage ...

François, mon homme, a partagé mes angoisses et les a accueillies comme il pouvait, me donnant la possibilité de lâcher la pression de temps en temps et Jean-Claude (notre sage-femme)  en a reçu une petite partie aussi, mais avec sa sensibilité, il en a certainement perçu bien plus que ce que je ne voulais en montrer, les écoutant avec son air mi-figue, mi-raisin habituel ;-)

Je lui sais surtout gré de ne m'avoir jamais proposé de "faire" quelque chose de technique pour calmer ces craintes, et de m'avoir ainsi laissée l'occasion de "rentrer" dans mon histoire et mes angoisses pour avancer avec, au lieu d'essayer de les faire taire.

Quant au reste du monde, selon mon habitude, je n'ai rien laissé paraître de tout cela.

De plus, cette grossesse a été pour moi lourde de plein de choses. Pour la première fois, j'ai vécu une grossesse où je me suis laissée aller, en confiance (confiance en moi, confiance en mon couple, confiance en nos choix), à tout ce qui remuait et remontait du fond de moi. Lourde d'abord, dans le fait d'attendre pour la première fois même si c'est triste à constater, un enfant conçu dans l'amour d'un couple, dans l'amour de deux êtres qui se sont choisis en connaissance de cause, et non un enfant conçu pour masquer une carence affective et l'échec d'un couple bancale. Il m'a fallu avoir le courage de le reconnaître et de l'accepter, de regarder en face les motivations qui m'ont conduite aux grossesses précédentes. L'envie d'enfant, oui, mais pas pour eux, ni pour le couple, plutôt pour me sauver du non-être, et me faire du bien à moi... :-(

Maintenant que je l'ai accepté, je peux aller de l'avant avec eux sans parasites, et j'ai fait mon chemin pendant cette grossesse pour pouvoir accepter d'en profiter sans culpabilité vis à vis de mes autres enfants. Ce chemin est passé par tout un tas de manifestations inconnues de moi jusqu'alors : nausées, douleurs abdominales, tristesse inexpliquée etc...

Lourde également de tout un passé d'enfant en attente perpétuelle de tendresse, d'attention, de gestes d'amour... et lourde de choses plus noires et encore innommées, mais que je commence à oser regarder. Passé que j'ai nié et ignoré jusqu'il y a peu, et dont j'autorise enfin la douleur à refaire surface. Avec mon fils est également née une expression concrète de cette douleur qui me faisait tellement peur par sa violence.

... C’est dire le nombre de choses qu’on peut avoir en gésine en plus de son bébé ...

Bref.

Après avoir été persuadée que j'accoucherais prématurément, j'ai finalement accouché tout à fait "normalement" à 39 semaines, après avoir vécu les deux dernières semaines dans une attente qui ressemblait à une pulsation sourde, m'enveloppant rythmiquement de contractions bien "costaudes" que je recevais chaque fois comme un plaisir, de moments de fatigue extrême, de tout un cortège de pensées et d'émotions complexes ... besoin de solitude et de tendresse en même temps ; j'attendais la fête, j'attendais mon enfant, j'attendais ce bébé de l'amour tellement désiré, et la joie de pouvoir à nouveau me lover autour d’un nouveau-né.

Et samedi soir, vers 20h, alors que les enfants et moi venons juste de terminer le sapin de Noël, je commence à ressentir de bonnes contractions d'une "qualité" différente ; sans avoir besoin de rien se dire, François ressent également qu'il est en train de se passer quelque chose, et s'occupe alors de faire manger et de coucher les enfants. Je suis devant la télé, je regarde des bêtises en étant à l'écoute de mon corps... Je reçois plusieurs contractions qui travaillent nettement sur mon bassin, que je sens s'écarter, s'assouplir, j'allume des bougies, je suis bien, je me sens en sécurité, mes enfants sont à la maison pour le week-end et pas chez leur papa, tout est prêt... mais je suis aussi très fatiguée. Je dors mal depuis quelques temps, et là j'ai justement envie de dormir, pas encore de "travailler". J'ai un peu peur tout à coup de ce rendez-vous que j'attends pourtant depuis un bon moment :-)

Et justement, ben tiens, les contractions s'espacent et s'arrêtent vers minuit...

Je vais dormir, et je passe une très bonne nuit, avec mon fils blotti contre moi. Tout juste ai-je été réveillée trois fois de loin en loin par des contractions qui ne se sont pas répétées.

Le lendemain matin, vers 7h30, je suis à nouveau réveillée par une bonne contraction, je sens que quelque chose coule et glisse, et je m'aperçois que je perds des glaires teintés de sang ... le fameux "bouchon muqueux", enfin !

Cette fois je sais que ça y est, ce sera pour aujourd'hui. Mes enfants sont excités et je dois les calmer et leur expliquer qu'il y en aura encore pour quelques heures, que bébé ne risque pas de débarquer tout de suite. A ce moment là, forte des mes trois expériences précédentes, où je suis entrée d'emblée dans un travail intense et rapide, je pense encore qu'il naîtra probablement avant midi, et que ce sera une affaire aussi rondement menée que les précédentes :-)

Je m'installe un moment sur la toilette où je suis bien pour prendre les contractions, et mon fils s'installe par terre près de moi et décide de me lire une histoire, tout doucement pour ne pas me déranger :-)) Il s'inquiète un peu que le bébé ne tombe dans la toilette, et je le rassure, bien qu'il n'ait pas l'air convaincu :-)

A ce moment là commence une période bizarre ... en fait d'affaire "rondement menée", ça me fait tout drôle d'entrer en travail le matin (j'ai toujours accouché le soir), alors que la maison s'éveille, qu'il y a plein de choses à faire, les enfants à nourrir et à habiller, le chien à sortir etc... et mon travail se dilue et s'étale dans d'interminables "préambules" qui ne me sont pas familiers. Quelque part, je n'ose pas vraiment me laisser aller, parce que je suis en attente d'un climat émotionnel que je ne peux pas obtenir à ce moment là.

Bien sûr, François s'occupe de tout, je n'ai aucun souci "matériel", mais pendant ce temps là il ne peut pas être avec moi, et j'en aurais pourtant très envie ... j'ai besoin que ce moment soit "reconnu", soit respecté, et pas noyé dans les tâches quotidiennes. Et je le sens agacé de ma demande. Et son agacement me freine.

J'ai appelé ma mère pour qu'elle vienne s'occuper des petits, François appelle Jean-Claude pour lui annoncer que notre pitchoun est en chemin, et nous décidons ensemble de le rappeler quand je ressentirai le besoin de sa présence. Je sais qu'il est avec nous en pensée, ça me suffit pour l'instant.

Je décide de prendre un bain, toujours un peu mal à l'aise. Je n'aime pas être en attente, en attente de l'arrivée de ma mère, conduite par mon beau-père avec le "dérangement" que cela implique, en attente que les enfants aient fini de manger et "libèrent" François, en attente de je ne sais quoi... que le temps s'arrête pour me permettre d'accoucher dans ma bulle peut-être... ?

De plus, les enfants sont invités à l'anniversaire d'un petit copain l'après-midi, et je sais qu'ils ont envie d'y aller. Je suis partagée entre l'envie de les laisser aller, et l'envie de les garder près de moi, je ne sais pas quoi faire, je suis indécise et c'est inconfortable.

Le bain est bon malgré tout, mais à un certain moment j'ai besoin d'en sortir pour me vider les intestins, et je n'aurai plus envie d'y retourner jusqu'à la fin.

Ma fille aînée vient assez souvent me tenir compagnie, ne sait que faire pour m'aider, tout en tendresse et en petites attentions. Je finis par la laisser me donner la becquée à la cuillère (je mange du riz au lait), pour qu'elle puisse "faire" quelque chose pour moi :-)

En fait, ces préliminaires (tiens, le même terme que pour l'amour...) durent jusqu'aux environs de 13h30. J'ai des contractions fortes mais assez brèves, parfois dans le ventre, parfois dans les reins, et très irrégulières, peu convaincantes.  Je m'y sens bien, dans ces contractions qui me laissent le temps, pour une fois, d'apprivoiser ce qui va se passer. Je descend arranger deux ou trois choses, je mange un peu de riz au lait, je flotte un peu entre deux eaux. Entre-temps on a rappelé Jean-Claude pour lui raconter ce travail étrange (pour moi), et ça m'a fait du bien d'en parler.

Et puis tout à coup je ressens le besoin d'être tranquille, de faire le vide autour de moi. Il me faut mon espace. Je me décide vraiment à envoyer les enfants chez leurs petits amis comme prévu (d'ailleurs c'est assez marrant, cet anniversaire qui était prévu pour le samedi, et qui a été reporté in extremis au dimanche, comme pour me laisser la possibilité, non prévue initialement, que les enfants ne soient pas là). Tout à coup j'ai hâte que tout se mette en place. Je presse François de finir de préparer les enfants, de les habiller, de les conduire et de revenir au plus vite. Ca l'énerve un peu cette fébrilité soudaine, mais là je sens que ça devient impérieux, je ressens un sentiment d'urgence, comme si j'allais rater un train... Il téléphone à Jean-Claude sur ma demande pour lui dire de venir, et il part. Mon beau-père aussi. Ma mère, discrète, s'occupe en bas. C'est enfin le silence.

Je remonte et je pressens que quelque chose va changer. Mes contractions s'arrêtent pendant un moment pour me laisser l'occasion de préparer "mon nid" que j'installe avec efficacité et rapidité : un petit matelas d'enfant recouvert d'une bâche et d'un drap en coton, par terre dans la salle de bain, entre la baignoire et les lavabos. Quelques alèses. Des coussins et une bouteille de menthe à l'eau. Je sais que généralement je déteste bouger, et même parler pour demander , quand j'en arrive à la phase active de mon travail, donc j'aime avoir tout sous la main.

J'ignorais jusqu'à la dernière minute où je m'installerais, de la chambre ou la salle de bain. Eh bien voilà, c'est décidé, ce sera là et pas ailleurs, ça ne se discute pas.

Je me déshabille entièrement et je rentre enfin dans mon enfantement. Plus personne ne me fera bouger de là.

Et à partir de là, le début de la tempête commence. il doit être aux environs de 14h-14h30, je crois, mais c'est la dernière fois que j'ai conscience de l'heure et du temps qui passe. Pendant un moment je suis encore connectée à la réalité, entre les contractions qui, elles, deviennent franchement impérieuses. Je bavarde un peu avec ma mère, puis avec François qui est revenu et s'installe définitivement près de moi. Ca me fait un bien fou de savoir que maintenant, il ne sera plus là que pour moi, pour nous.

J'ai conscience de l'arrivée de Jean-Claude, alors que je suis en train de "finir" une contraction, j'apprécie sa douceur quand il me dit quelques mots et me fait un câlin en arrivant. Il s'installe dans un coin de la salle de bain, par terre contre le radiateur (je ne comprends toujours pas à ce jour comment il n'a d'ailleurs pas fondu en flaque sur le sol... :-)) et n'en bougera pas beaucoup pendant tout le reste de l'accouchement. Sa présence est silencieuse, discrète, et en même temps je le sens tendu vers nous, tout en disponibilité, et l'atmosphère "s'habite" aussitôt de tout ce qu'il apporte avec lui et vient s'ajouter à notre histoire. C'est bon. J'avais un peu peur d'être gênée, freinée par sa présence, de ne pas oser vivre tout ce que j'avais à vivre par pudeur, et je m'aperçois qu'à aucun moment cette présence ne m'a pesé, au contraire. Je me suis sentie en sécurité tout au long de l'accouchement.

A verser au débat sur l'accompagnement :-)

De ce moment, je n'ai plus aucune conscience réelle de la chronologie des évènements. Je me souviens de certaines choses, mais je serais incapable de dire quand et comment exactement elles se sont déroulées.

Je me souviens que François installe un matelas à côté du mien pour ne pas être directement sur le sol. Je l'entends souffrir de la chaleur, alors qu'il est nu à côté de moi, pauvre ours polaire obligé de supporter une température étouffante :-)

Je me souviens comme d'un moment-charnière qu'il est allé cherché une pomme, l'a pelée et mangée devant moi, et que je lui ai demandé ou qu'il m'a proposé de me couper un quartier. Le temps qu'il le coupe, j'ai été prise d'assaut par une contraction plus puissante que les autres, et j'ai oublié définitivement la pomme et le reste du monde pour entrer dans mon sanctuaire.

Je me souviens des mains de François, effleurant si légèrement mon dos et mes reins, comme un papillon. Ces mains dont j'ai apprécié la chaleur et la douceur, je me souviens de son corps, de ses bras, venant se placer la plupart du temps exactement au bon endroit, dans la bonne position, me faisant prendre conscience que c'est ça qu'il me fallait. Je me souviens de sa présence rassurante, pleine, à mes côtés, de son silence tellement parlant, tellement tendu vers moi et ce que je vis, mais calme, si calme…  Il n'a que très rarement manqué au rendez-vous quand je "l'appelais" en silence.

Je savais qu'il était à 100% avec moi dans ce projet de naissance à la maison, mais j'ignorais qu'il le serait de manière si "juste", qu'il trouverait instinctivement la meilleure manière de m'accompagner sur ce chemin. Je n'aurais pas osé l'espérer, pour tout dire :-) Tout au long de cette naissance, je l'ai senti confiant, calme, dans l'accueil et la sérénité. S'il s'est inquiété, je ne l'ai pas senti. Et si mon corps était seul à mettre ce bébé au monde, nos âmes vivaient l'évènement à l'unisson, et respiraient au même rythme.

J'insiste là-dessus, parce que c'est la chose la plus magique qui me soit jamais arrivée, moi qui ai toujours vécu les choses importantes et bouleversantes de ma vie dans la solitude la plus totale, voulue ou non.

De mon travail, je ne pourrai pas vraiment décrire les étapes ou la chronologie exacte. Je sais qu'à un moment, quand ça a commencé à être vraiment puissant, j'ai appelé et accueilli les contractions avec plaisir, ouverte et consentante, presque comme on s'ouvre à l'amour physique quand on se donne vraiment entièrement. Il semblerait d'ailleurs que mes vocalisations aient été plutôt ambiguës à ce moment-là, si j'ai bien compris ce que m'en a dit François :-)

Et puis plus tard, quand j'ai commencé à me perdre un peu dans la douleur, quand j'ai senti que cette naissance serait plus difficile que les autres, je me suis totalement blottie en moi-même, repliée à genoux, les hanches écartées, la tête dans les coussins.

J'avais du mal à trouver une position qui me convienne. J'ai essayé plusieurs fois de me redresser sur les genoux, en appui sur le bord de la baignoire, ou de rester à genoux en appui sur les mains (comme un orang-outang me décrit poétiquement François ;-))

Les moments où je me redressais correspondaient aux moments où je me "lançais" volontairement dans la suite du travail, où je voulais accompagner ce qui se passait, faire avancer les choses.

Ensuite il m'arrivait de douter, de douter de l'avancée réelle du travail, de ma capacité à endurer la suite, et surtout j'avais peur à certains moments... et alors je replongeais dans mes coussins, en essayant de laisser faire mon corps, de ne pas me crisper. Je savais que de son côté mon bébé faisait aussi son travail, et je m'en remettais un peu à lui quand je faiblissais.

J'ai pleuré aussi à un moment. Je ne sais pas combien de temps.

A un moment, je sais que j'ai commencé à refuser les contractions, la douleur. J'ai fait barrage parce que je n'en pouvais plus. J'avais une phénoménale envie de dormir, de m'anesthésier, et j'ai d'ailleurs réussi à réellement tomber endormie pendant quelques secondes (minutes ?) entre certaines contractions.

J'ignorais où en était mon bébé. Je me souviens avoir réalisé avec un sentiment d'étonnement que Jean-Claude percevait probablement bien mieux que moi où "ça" en était, alors que c'était dans mon corps que ça se passait. Un comble quand même :-)

Ce que je sentais, c'est que certaines contractions s'accompagnaient d'une perte de liquide amniotique et de glaires, et d'autres non, indépendamment de leur force. J'en concluais que quand rien ne "sortait", bébé devait bloquer quelque part, et qu'au contraire, il devait progresser quand je perdais du liquide... J'ignore encore si mes conclusions étaient exactes :-)

J'ai également crié beaucoup plus que pour mes accouchements précédents. Certaines contractions engendraient des cris rauques et profonds qui sortaient malgré moi et emplissaient tout l'espace, alors que d'autres me donnaient envie de me replier et que je restais absolument silencieuse, enroulée autour de ma douleur. A certaines moments, il m'était d'ailleurs complètement impossible de communiquer avec l'extérieur. Je me rappelle clairement avoir eu pendant un bon moment une soif terrible ; je voyais ma bouteille près de moi, mais j'étais physiquement incapable de faire un mouvement pour l'attraper, et tout aussi incapable d'articuler un son pour demander à François de me la passer...

J'ai eu conscience que Jean-Claude effectuait quelques monitos, qui ne m'ont pas dérangée. A charge pour lui de se contorsionner pour placer son capteur où il fallait, moi je ne bougeais presque pas. Par contre, à aucun moment je n'ai éprouvé l'envie d'un TV pour connaître la progression de la dilatation ... ça ne m'a même pas effleuré l'esprit. Il n'y avait aucune raison de profaner la cérémonie qui était en train de se dérouler en moi, et je n'éprouvais pas d'inquiétude pour mon bébé.

A un certain moment, le temps s'est comme suspendu...

A l'approche du grand saut, tout près, si près de l'arrivée de mon bébé, ma peur a commencé à grandir, à m'envahir. Je me souviens avoir éprouvé le besoin de dire à plusieurs reprises "j'ai peur". Plus pour qu'on le sache, qu'on partage avec moi, que dans l'attente de quelque chose de concret. Je savais très bien que moi seule aurais à vivre ce qui se préparait. Mais quelle trouille, quel indicible sentiment de petitesse et d'impuissance face à cette énormité qui se déroule au plus profond de moi... quelle envie que quelqu'un arrive et dise "ne t'en fais pas, je m'occupe de tout, tu ne sentiras plus rien". Comme je comprends que les femmes soient consentantes quand un médecin leur propose de tout prendre en charge à ce moment là ... :-(

Et là, miracle, le temps s'arrête un petit moment, me laissant de longues plages de répit, comme pour prendre mon souffle avant de plonger dans les profondeurs.

Et puis je me rappelle que tout a repris, violemment. Je me rappelle m'être redressée en appui sur le bord de la baignoire, je me rappelle de contractions qui me vidaient littéralement de tout : de mon bébé, de mon souffle, de ma peur... Je criais sans pouvoir rien retenir, comme une louve à la pleine lune, et là j'ai senti la tête de mon bébé émerger d'un coup dans mon vagin. J'ai eu l'impression étrange d'entendre/de ressentir un espèce de gros "plop", comme quand on fait sauter un bouchon de champagne, comme si cette tête parvenait enfin à se dégager violemment d'un goulot de bouteille trop étroit. J'ai distinctement entendu Jean-Claude dire tranquillement à François "voilà, ça y est, il est là". J'étais heureuse, exaltée, je sentais enfin arriver mon petit, c'était presque fini...

Mais là, contrairement à ce que je croyais, nous n'étions pas encore parvenus à destination, mon bébé et moi. Pour mes autres bébés, à partir du moment où la tête déboulait dans le vagin, tout se déroulait tout seul, en poussées involontaires, et la tête et le corps glissaient très rapidement hors de moi.

Ici, j'ai senti peser sa tête dans mon vagin, mais cette tête ne descendait pas toute seule avec les contractions, comme j'en avais l'habitude. J'ai dû très vite m'ajuster à une sensation nouvelle, complètement déroutée, et j'ai dû pousser, et bien pousser, pour la faire progresser. Je me souviens avoir paniqué, parce que je sentais mon périnée completement distendu, mais je ne parvenais pas à sentir mon bébé avec mes doigts... Je répétais "je ne le sens pas, il n'est pas là" ou quelque chose comme ça :-)

Et François qui me répétait "calme-toi, doucement, fais à ton aise", pendant que je me disais en moi-même "mais j'ai pas envie de faire à mon aise, j'ai besoin que cette énorme tête sorte de moi sinon je vais éclater" :-)

Pour finir, j'ai situé sa tête dans mon vagin, je m’y suis ancree, et j'ai suivi avec mes mains sa progression. J'ai senti son petit crane plein de plis, et puis son nez et ses yeux qui naissaient de moi, petit à petit, pendant que je m'échinais à pousser. Je sentais également contre la mienne la main de François, placée en coupe en-dessous de la tête de notre petit, dans un geste d'accueil, et bon dieu j'ai aimé ça :-)

Et enfin sa tête est sortie. Epuisée et soulagée pour un très court instant, j'ai replongé en prière musulmane dans mes coussins, et là encore, consternation de ma part ; où j'attendais de sentir glisser rapidement un petit corps mouillé hors de mon vagin, tout s'est bloqué en un point de douleur intolérable au niveau de mon périnée. Je ne comprenais plus, j'étais alors totalement perdue, incapable de m'y retrouver dans mes sensations. J'ai hurlé "aidez-moi" aux deux hommes qui m'entouraient, et j'ai senti Jean-Claude aller dégager mon bébé qui s'était apparemment bloqué au niveau des épaules (qu'il avait larges, le petit sumo :-)), et me demander de pousser encore une fois pour dégager le corps, ce que j'ai fait.

Etonnamment et malgré tout ça, aucune déchirure, rien. Je dois avoir un périnée en "strech" :-)

Et enfin l'anesthésie de la douleur, enfin l'arrivée de mon petit, dans un moment de silence épais, avant d'entendre son premier cri...

Je me suis alors redressée et retournée, faisant passer ma jambe au-dessus de lui, entraînant presque mon bébé dans mon mouvement à cause d'un cordon ridiculement court, et je l'ai reçu des mains de François. Le cordon était tellement court que je ne parvenais pas à le lever au niveau de mes seins, et que j'ai dû le blottir contre mon ventre, moi-même pliée vers l'avant pour aller à sa rencontre avec mon visage et ma bouche, et pouvoir le humer et le lécher à mon aise.

D'ailleurs, au bout d'environ une heure, ce mini-cordon de poupée finissant par m'agacer et mon bébé ayant des difficultés à parvenir au mamelon pour téter, j'ai demandé à François qu'il le coupe, et je me suis sentie immédiatement plus à l'aise dans mes mouvements.

Au bout d'un moment d'une longueur indéterminée, François m'a quand même demandé de pouvoir jeter un coup d'oeil entre ses cuisses, détail auquel je n'avais même pas encore pensé... et nous avons constaté en riant (moi en tout cas) qu'il s'agissait d'un petit garçon affublé d'une grosse paire de coucougnettes, alors que depuis le début de la grossesse je répétais que j'étais quasiment certaine d'attendre une fille... au point que nous n'avions pas encore vraiment réussi à nous mettre d'accord sur un prénom de garçon. Passé le premier instant de consternation passagère de François, nous avons accueilli notre garçon et je l'ai nommé du prénom que mon homme préférait, sans même y songer : Lorenzo.

En tout cas, j'ai intérêt à me recycler si je comptais ouvrir un cabinet de voyance :-))

Peu après, mes trois loustics sont revenus de leur anniversaire, et ont débarqué dans la salle de bains, tout vrombissant de remarques et de questions autour de leur nouveau petit frère. Le plus jeune perplexe et techniquement curieux devant la texture et la raison d'être du cordon qui me pendait entre les jambes, la cadette étonnée que le bébé ne soit pas plus gluant et sale, et l'aînée se préparant déjà à investir son rôle de grande soeur maternante.

Je suis contente qu'ils n'aient pas été présents, tout compte fait, parce que je pense que mes cris devaient être impressionnants, et j'aurais risqué d'être inhibée par la crainte de les effrayer s'ils avaient été dans la maison. Au lieu de cela, ils se sont amusés comme des fous pendant que je vivais mon enfantement, sachant qu'à leur retour le bébé serait très probablement né. C'est bien comme ça, je n'ai aucun regret.

Entretemps, je continuais à avoir des contractions assez désagréables, mais pas de placenta à l'horizon... malgré un bain-douche vigoureux, les tétées précoces etc...

Au bout d'un moment, pas inquiète (je me sentais très bien) mais énervée par ce placenta paresseux qui m'empêchait d'aller m'installer et roucouler avec mon petit au lit et qui me laissait encore "en attente" de quelque chose, je pense que Jean-Claude a perçu cet énervement, et il m'a proposé de remonter tout doucement le long du cordon pour voir si "la bête" était prête à sortir ou pas encore. J'ai accepté ce coup de pouce avec enthousiasme, et il est allé cherché le placenta qui reposait négligemment au bord du col. J'ai dû pousser un peu, j'ai senti passer une grosse masse à travers un col qui me semblait déjà bien serré, et j'ai enfin été délivrée, étonnée de la taille de l'organe, que nous avons congelé pour le planter au printemps.

En conclusion, je dirais avec le recul d'un peu plus d'une semaine, que cet accouchement a été pour moi de loin le plus éprouvant et le plus dur physiquement et mentalement (d'ailleurs j'ai eu pendant plusieurs jours l'impression d'avoir été passée à la moulinette et à la centrifugeuse dans chaque parcelle de mon corps, et mes hanches ne sont pas prêtes à reprendre leur place initiale d'après ce que je sens).

Je pense d'ailleurs, sincèrement, que dans les conditions offertes par l'hôpital, j'aurais fini par demander une péridurale ; je ne pense pas que j'aurais pu passer au travers de ce travail en-dehors de la sécurité de ma maison et confrontée à l'inhumanité d'un milieu médical.

Mais ça a également été l'accouchement le plus "conscient", le plus beau, le plus partagé, le plus vivant que j'ai connu. Je l'ai vécu à fond dans chaque morceau de moi, et je n'ai jamais subi. Et j'ai surtout goûté le climat de calme et d'amour dans lequel cela s'est déroulé.

Les interventions de Jean-Claude ont correspondu à mes demandes, à mes attentes et à mes besoins, je n'ai aucun sentiment de regret ou d'échec par rapport à cela. J'ai vécu ce que je devais et pouvais vivre au vu de mon évolution actuelle et des circonstances, et l'accompagnement que nous avons eu, François et moi, nous correspond tout à fait.

D'ailleurs, pour la petite histoire, le point fort de l'accompagnement de Jean-Claude, c'est son "service après-vente"... Les petits massages et drainages après l'accouchement, ça vaut de l'or ;-)

Il me reste maintenant de cette naissance la saveur inexprimable et nostalgique des choses qu'on sait ne plus jamais revivre, mais qui ont imprimé en nous leur marque indélébile, un peu comme les souvenirs d'enfance, dans lesquels on se blottit avec plaisir tout en sachant qu'ils ne sont probablement pas le reflet de la réalité des choses.

Qu'importe. Les couleurs qu'on y voit sont les seules qui comptent, les bonheurs que l'on se construit sont notre seule réalité ; et ma réalité, c'est un accouchement que j'ai aimé, que j'ai goûté, que j'ai partagé avec l'homme que j'aime et un ami qui m'est cher, et c'est aussi un petit garçon endormi, blotti entre mes seins, en train de faire ces grimaces invraisemblables et ces indescriptibles  petits bruits de nouveau-né tellement doux à l'oreille... :-)

Que c'est bon de vivre et d'aimer ...






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4 octobre 2005 2 04 /10 /octobre /2005 00:00

Dimanche 15 déc, 7h30. Cette fois, nous y sommes. Le grand jour. Pourquoi spécialement aujourd'hui, alors que ça fait des semaines que Françoise se prend  régulièrement des contractions, parfois violentes, et que celles-ci ne semblent pas particulièrement fortes ? Je n'en sais rien. Mais quand je me lève, c'est une évidence : là, on y est. Pourtant, aucune parole extraordinaire n'a été prononcée, qui aurait pu indiquer l'imminence du dénouement. Confirmation : quand Françoise se lève à son tour, elle est très étonnée de voir passer son bouchon muqueux : c'est la première fois. La veille ? Juste 1 ou 2 paquets de contractions. Comme d'hab. L'occasion, d'ailleurs, de voir passer 18h37, ce samedi, sans que rien ne se passe. Faut que j'explique : face à la panique de Françoise d'accoucher trop tôt - ce qui signifiait forcément l'hôpital - cela fait des semaines que je la chambre avec mon "tracasse toi pas : ce sera le 14 à 18h37, je te dis !" Donc, exit le 14 et bonjour le 15 !

Avant même de me lever, j'ai déjà scanné tout ce qu'il y avait à faire. Les gosses. Surtout les gosses. Faire venir Babou - leur grand-mère - qui a eu la bonne idée de revenir d'Espagne juste à temps. Appeler JC. Mais pas trop tôt. Bon : vu que, pour ses trois premiers, les accouchements de Françoise ont plutôt été du style "savonnette glissant sur un toboggan", il n'y a aucune raison pour que ça se passe autrement cette fois-ci. Tout devrait donc être terminé pour l'après-midi. Peut-être même que les enfants auraient encore la possibilité d'aller à l'anniversaire d'un petit copain de classe. Bref, le chef d'entreprise est au poste et assure.

De fait, je suis d'une totale sérénité. Hors émotions aussi. Envolés, les doutes et les questions. Depuis plusieurs mois d'ailleurs. D'accord, j'ai 50 balais et vu mon historique familial, je n'ai qu'une vingtaine d'années de présence à offrir à mon enfant. Si tout va bien.

Discussions lancinantes et récurrentes entre Françoise et moi, depuis les tout débuts de notre rencontre. Car avant même le premier baiser, j'avais posé deux conditions non négociables : plus de vie commune avec une nana et plus aucun enfant. Surtout pas. Entre autres, parce qu'avec les deux premiers issus d'un premier mariage de ma première femme, plus mes deux fils, plus les deux ados de ma seconde compagne, cela me fait plus de 25 ans de vie non-stop avec des mômes, moi qui n'étais pas spécialement porté vers eux. Quand je rencontre Françoise, j'estime donc avoir suffisamment donné et pouvoir faire valoir mes droits à une retraite largement méritée. Mais il faut croire que quelque chose m'a échappé en cours de route, puisque, non seulement je "vis avec une nana", mais voilà qu'il faut y ajouter ses trois loustics et que, pour couronner le tout, j'en suis à accueillir le dixième gosse de ma vie ! Je savais les dieux assez portés sur l'humour nettement teinté d'ironie, mais là, je trouve qu'ils y vont un peu fort.

La trisomie, aussi. Je n'en veux pas. J'ai vu mon père se coltiner l'enfant trisomique de sa

troisième épouse (oui, chez nous, collectionner les épouses est un sport héréditaire) : c'est lourd. Pas question de me farcir ce fardeau pour les trois ou quatre lustres qui me restent.

Enfin, peur diffuse - mais bien plus primale - qu'elle aussi, me confisque cet enfant à venir. Comme l'autre, avec mes deux fils. Que la nuit du grand silence de glace revienne.

Donc, l'arrivée de Lorenzo, ce n'était pas couru d'avance. Pas du tout. Mais un miracle va avoir lieu :

Françoise, son regard, son sourire, sa voix. Et son âme. Surtout son âme. D'accord, ça n'éteint pas un fleuve de lave en fusion. Mais, pour m'apprivoiser, d'instinct, elle va suivre la seule voie qui puisse me désarmer : s'abandonner totalement et s'offrir sans restrictions.

Seulement, elle est en demande d'un bébé. Depuis le début. Et c'est toujours là, même si ce n'est formulé qu'épisodiquement. Je ne comprends pas. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Je freine des quatre fers. Longtemps. Mais de moins en moins. Subjugué par la constance et la force de cette demande. J'accepte. Sauf un enfant trisomique. Mais nous butons sur la question de l'avortement. Donc, encore de l'eau qui passe sous les ponts. Pourtant, il ne faut plus trop tarder : Françoise a 35 ans et chaque mois qui passe, augmente un peu plus le risque.

- Je commence une nouvelle plaquette ?

- Non.

La décision est venue d'elle-même, comme un fruit mûr, malgré la question de la trisomie, toujours en suspens. Nous ferons le tri-test machin-bazard. Risque évalué a 1 pour 250. Objectivement, pas grand chose. Mentalement, c'est autre chose. Mais entre-temps, c'est devenu inutile : au fur et à mesure que le temps passe, un phénomène étrange se produit : si mes doutes et mes questions sont effectivement toujours là, leur signification s'estompe peu à peu. Et finit par s'effacer. Complètement. Le bonheur à travers tout. A travers moi. Surtout. Sur tout.

Naissance à la maison. Quand je rencontre Françoise, j'ai déjà une nette prévention contre le monde médical et sa suffisance, son déni du patient en tant que sujet et sa fuite vers l'hyper médicalisation. Néanmoins, je suis encore bourré d'idées préconçues. Notamment sur le cododo. Que Françoise pratique avec Killian, âgé de 9 mois à l'époque. Je lui rentre aussitôt dedans, la traitant de mère indigne et l'accusant de bouffer les couilles de son fils. Explications. OK pour le cododo.

Pour la naissance proprement dite, c'est plus facile : il suffira de m'en démontrer la faisabilité et les avantages, y compris au niveau des risques. Mais je n'irai jamais jusqu'à l'accouchement non assisté. Prise de risques inutile. Chacun son job. Et puis, à la vue du sang, je tourne facilement de l'oeil. Donc, accouchement à la maison, oui. Mais assisté d'une sage-femme. Cahier des charges : qu'elle ne soit pas (trop) interventionniste.

Nous aurons la chance de rencontrer JC. Qui intégrera et accompagnera impeccablement notre projet de naissance.

Ce sera donc un dimanche matin ordinaire, avec ses rites, son rythme propre et toutes ces petites choses à faire. Sans Françoise, depuis que, enceinte, elle reste bien plus longtemps au lit. Et comme, de toute façon, l'accouchement n'est pas pour tout de suite...

Mais je vais très vite savoir que nous ne sommes pas un dimanche ordinaire et que de "Françoise enceinte", nous sommes passés au statut de "Françoise accouche" : à peine levée, elle demande ma présence constante. Aller pisser un coup ? Après ! Les gosses Après ! Cette exigence de "sale petite égoïste de gamine de merde" génère chez moi une superbe colère. Ca commence bien ! Or, pas question de lui lâcher ça. Mais ma colère a déjà coloré une de mes réponses et ça la fout par terre. Pour me calmer, je décide donc de "profiter" de la moindre corvée incontournable pour m'éloigner. Peut-être aussi pour garder des points de repère connus : sortir le chien, vider la nième dispute entre les gosses...

La colère évacuée, je suis plus disponible pour "faire la route" avec Françoise. A part cette colère, toujours pas d'émotions particulières. Une partie de moi reste constamment attentive à "ce qui se passe en bas", avec les enfants. L'arrivée de Babou, leur grand-mère, n'arrangera pas forcément les choses, au contraire : ils ont pour habitude d'en abuser un max. Et n'y dérogeront évidemment  pas cette fois-ci.

Les enfants. A part quelques petites touches individuelles (surtout Marine, l'aînée, toute tendre avec sa maman), ils restent spontanément très absents de ce qui est en train de se produire. D'accord, la demande de Françoise est nettement qu"on lui foute la paix", mais quand même. Bon. Autant de risques évités d"éclatement" d'une Françoise ultra-sensible.

Sa vulve est comme sortie du corps. Et a pris du volume. C'est tentant. Très tentant. Femelle éternellement soumise à la fatalité de sa condition. Et, pour l'heure, toute portée vers le dénouement. Offerte. Roulant au gré des vagues qui la portent régulièrement.

13h. Déjà 13h ? Toujours rien. Ou si peu. Ben alors ? Où sont les accouchements si rapides qu'on n'a même pas le temps de terminer son dîner et qu'il faut enfiler au moins trois panties pour éviter le catapultage du bébé sur le mur d'en face ? On m'a trompé sur la marchandise ! Bon, OK, je suis quand même un peu à l'origine du cocktail. Par rapport aux trois premiers, sa composition a donc forcement été modifiée.

L'anniversaire : ils y vont ou pas ? Court conciliabule. OK., ils y vont. Mais avant, second coup de fil à JC. Cette fois, pour qu'il vienne. Voix de JC très "le vol SN 417 en provenance de Ouagadougou, aura 15 minutes de retard". Incroyablement douce, pour un homme. Pas spécialement besoin, mais toujours bon à prendre.

Le père du petit copain dont on fête l'anniversaire : "mais rentre donc un peu !" On voit bien qu'il ne connaît pas Françoise ! Et que ce n'est pas la sienne ! Conversation devant la maison puis retour. En tout, 1/2 heure au maximum. Mais à mon arrivée, tout a changé. Basculé, devrais-je dire.

Jusqu'à ce jour, impossible, pour Françoise, de savoir si elle accoucherait dans la chambre ou dans la salle de bains. Mais là, visiblement, ce sera la salle de bains : elle y a installé un matelas. S'y est installée. Et y a commencé le travail. Le vrai. Enfin !

Il est un peu plus de 14h.

J'accueille JC en slip. "Ma tenue de travail". Faut dire que, pour un ours polaire comme moi, moins cinq degrés sous zéro est la température idéale. Or, là, on dépasse les trente degrés ! L'enfer ! Bien sûr, pendant des semaines, je me suis mentalement conditionné à affronter une telle étuve. Mais quand même, ça cloue ! Pendant tout notre séjour dans la salle de bain, je veillerai d'ailleurs à ce que la porte reste entrouverte. Cuire à petit feu, oui. Exploser, non. Et puis, ça aère.

JC s'installe d'emblée contre le radiateur. L'est complètement barje. Pourtant, à aucun moment je ne percevrai la moindre goutte de sueur. Ni d'odeur de cramé. Après tout, pourquoi pas ? Des gens marchent bien sur le feu sans autres conséquences que de devoir se laver les pieds.

Descente vers les profondeurs. Lente... Inéluctable... Avec une étonnante traversée d'un registre que je connais sur le bout des doigts : Tout d'abord, je crois avoir mal entendu. Ou que mon esprit me joue un tour. Mais non, je ne rêve pas ! Ce sont bien les même cris que quand on fait l'amour ! Même les "ouîîî, ouîîî" y sont ! Ben merde alors ! Pourtant, ça n'a pas l'air de provenir de la sphère du plaisir. Quoique. Par contre, le cri final de l'orgasme proprement dit - long, à nul autre pareil et absolument libre de toute contrainte humaine - ne sera pas au rendez-vous.

Toutes antennes dehors, je la touche. La regarde. La caresse. Léger. Par trois fois, elle va me repousser. Oh, pas violemment, non. Juste un geste excédé. Et j'ai beau avoir été prévenu que ça pouvait arriver, ça file quand même un sacré coup. D'accord, on va me dire qu'on avait déjà fait le coup au Christ et qu'il n'en avait pas fait tout un fromage.

Yep là ! Interférence : Babou vient "aux nouvelles". Gauche, voulant offrir, ou prendre en charge, ou n'importe quoi, pourvu que ce soit "faire quelque chose". Non, ma p'tite Dame, y a rien à faire. Ouaip, vous dérangez un peu, là. Et même beaucoup ! Mais la maman de la maman ne peut passer outre à ses devoirs. Ni escamoter cet événement qui la travaille, elle aussi. Alors, bravant l'interdit ambiant, sa main effleure sa fille. Qui recule aussitôt, comme piquée par un scorpion. Toute une enfance contenue dans un seul geste. Injuste ? Ce n'est pas le moment. Là aussi, le couvert sera remis trois fois.

Depuis combien de temps suis-je ainsi, absent de tout ? Le geste de JC, me retirant des mains la pomme que je mangeais, me ramène brutalement dans la réalité. Il me fait signe d'aller vers Françoise. Elle niche sa tête dans le creux de mon épaule. Echanges chauds et tendres. Moment de partage. D'offrande aussi. Je l'aime. Je t'aime, Françoise, ma perle de lumière, petit bouchon. Je t'aime.

A la voir déambuler avec son ventre énorme, cela faisait des semaines que j'avais la preuve de nos origines simiesques. Ou, à tout le moins, de notre cousinage. Maintenant, ça se confirme : elle a pris la posture de "Dos argenté" dans "gorilles dans la brume", quand il est fâché. Mais elle n'est pas fâchée. Incroyable, cette acceptation de tout. Même dans les moments de doute et de découragement, même au creux de la douleur la plus profonde, jamais aucune trace de rébellion. Fascinant.

Mais absence de rébellion ne veut pas dire lâcher prise ! Et elle va gratter solide, et longtemps, pour essayer d'éviter de "basculer". Seulement, lutter dans le vide et contre l'irréversible, ça épuise. Alors, j'assiste à cette chose incroyable : Françoise qui somnole - qui somnole vraiment - entre deux contractions !

Mais voilà qu'on change - encore une fois - de registre : les "j'en ai marre !" et autres "mais putain ! quand est-ce qu'il va se décider ?" ont fait place à des cris moins sapiens sapiens et plus primaires. Les primates, décidément, nous accompagneront une grande partie du chemin. De fait, "Dos argenté" a repris du service. J'ignorais d'ailleurs que son langage fût aussi guttural !

Ce que j'ignorais aussi, c'était l'imminence du dénouement. Là, j'ai comme qui dirait raté une marche.

Maintenant, "Dos argenté" est de nouveau face contre terre et cul en l'air. Pas très efficace pour le passage, ça. Encore moins pour la rotation - phase incontournable - du bébé.

Discrètes invites de JC à prendre une position plus appropriée. Peine perdue : pour une obscure raison, Françoise s'accroche comme une noyée à sa position "musulmanus correctus". Et n'en bougera quasi plus, même pour la délivrance.

Ils seront peu nombreux, finalement. Mais incroyablement puissants et comme sortis du fond des âges. Au-delà de l'animalité. Primaux. Peut-on encore appeler ça des cris ?

Tout occupé à déguster littéralement ces cris venus de la nuit des temps, je n'ai toujours pas percuté qu'on y est. JC, oui. Tel un chat, il se lève et, sans un mot, va se placer derrière "Dos argenté" qui, hors du temps, de soi et de nous, est en train de se sacrifier corps et âme sur l'autel du big bang.

JC m'invite à venir me placer pour accueillir le bébé. Quoi ? Quel bébé ? Ah oui, le bébé... Hein ? Déjà là ? OK ! La pièce tombe enfin et j'y vais aussitôt.

Nos mains se joignent et s'entrecroisent. La vulve est gonflée et hyper ouverte par quelque chose de rond. C'est couvert de ce qui ressemble à de petits poils tout noirs et frisés par l'humidité. Mais... Mais c'est sa tête, ça !

"Aidez-moi !" Elle en a des bonnes, elle ! Comment veux-tu qu'on t'aide, hé, banane ? La seule chose que je puisse faire, c'est lui communiquer mon calme : "laisse-toi aller, allez : laisse aller"... De fait, je suis le calme personnifié. "La force tranquille". Avec espoir, avec force et espoir, et ma voix et mes mains, je lui transmets.

Mais foin de nos états d'âme : voilà une autre vague qui arrive. Monstrueuse. Et ça s'ouvre, et ça s'ouvre encore (quand je pense qu'en temps normal, j'ai juste de quoi y passer deux doigts) et puis pôôôps : doucement, une tête de bébé apparaît, plissée, mongoloïde, bleue, inerte. JC dira plus tard qu'à ce moment, le bébé a pris une première inspiration. Peut-être, mais moi, je n'ai rien vu.

Car je suis trop occupé à encaisser une émotion dont la fulgurance et l'intensité me surprennent et qui, par ondes successives, finit par me submerger et m'engloutir tout entier. Je suis ballotté dans tous les coins. Je sens la main de JC sur mon dos. Mais c'est loin, loin, loin.

De nouveau, Françoise appelle à l'aide. Incroyable mais vrai : la tête du bébé est passée, mais le reste semble bel et bien bloqué ! Je ne comprends pas très bien pourquoi. Qu'est-ce qui bloque comme ça ? A cet instant, JC ne fait ni une ni deux : il glisse ses doigts entre le bébé et la paroi (ah bon ? on pouvait encore y glisser quelque chose ?). Je pense que c'est pour dégager le cordon. Voilà pourquoi c'était bloqué. Ben non, ce n'est pas ça du tout : sauf erreur, ce que JC est en train de dégager, c'est une épaule ! Puis les deux ! Et là, vlan ! Tout le reste suit comme un suppositoire, directement suivi d'un vrai seau d'eau, dans lequel j'ai le temps d'apercevoir un filet noir. Du méconium. Il a donc stressé.

Encore une fois, je n'ai strictement rien vu de la manoeuvre de JC pour faire redémarrer la respiration du bébé. Aurait-elle redémarré sans aide ? Question en suspens. Toujours est-il qu'il pousse enfin un cri franc et clair (le bébé, pas JC).

M'enfin ? Qu'est-ce qui lui prend ? Voilà maintenant Françoise qui veut se mettre debout ! Carrément ! Je l'arrête juste à temps. Faut dire que le cordon est franchement très court : même assise, impossible, pour elle, de le prendre dans ses bras et de le monter jusqu'à ses seins.

Bon. Il ne reste plus qu'à se faire confirmer le sexe. Simple formalité. Vu que c'est une fille. Ce n'est pas qu'on l'ait demandé lors d'une écho, non, au contraire : Françoise a toujours refusé de connaître d'avance le sexe de son enfant. Mais c'est une fille. Elle le sait. Par toutes les fibres de son corps. Lui parle comme à une fille. M'en parle comme d'une fille. Heureusement d'ailleurs : jamais, nous n'avons réussi à nous mettre d'accord sur un prénom de garçon. Ce n'est pas que je fasse preuve de mauvaise volonté, mais j'ai beau y faire : aucun des prénoms qu'elle me présente, ne trouve grâce à mes yeux - à mes oreilles, devrais-je dire - et je reste inexplicablement verrouillé sur Lorenzo. Pourquoi ? D'où l'ai-je sorti ? Quelle importance, de toute façon, puisque c'est une fille ? Alors, va pour Mélodie, que nous avons adopté très vite.

Confiant et juste parce qu'il faut bien que ça se fasse, j'écarte donc les cuisses de Mélodie, toujours coincée sous celles de sa mère. Et là,  même avec des yeux de 50 balais, il n'y a pas photo :

Une magnifique paire de roudoudous se pavanent effrontément, insolentes et aussi grosses que celles du taureau servant d'emblème au porto Sandeman !

C'est l'horreur des horreurs dans toute sa splendeur ! Là, on n'est pas dans la merde !

Loin au dessus de ces détails triviaux, Françoise plonge avec délices dans un réflexe archaïque : renifler et lécher son bébé. Et là, miracle : "bonjour, Lorenzo !" C'est pas moi. Ni JC. Ni la voisine non plus : elle est trop loin. Mais très vite, la confirmation arrive : "Lorenzo... mon fils..." pas de doute : c'est bien Françoise ! Je ne dis rien, ne bouge pas, n'ose pas : l'instant est bien trop fragile.

"Lorenzo, mon fils..."

Doucement, du bout des doigts, je le découvre. Et me l'approprie : "Lorenzo, mon fils... troisième du nom... mais quand même : t'aurais pu faire l'effort d'être Mélodie ! Tu nous as bien eu, hein ? Couillon, va !"

"Lorenzo, mon enfant..."

Bon, c'est pas tout ça : le cordon est décidément trop court et empêche Françoise de prendre vraiment son bébé dans les bras. JC a consciencieusement préparé une paire de ciseaux. Mais, indécrottable distrait, je prends le couteau qui m'a servi à éplucher ma pomme. Ce qui m'arrête, c'est la tête de JC. Regards vers le couteau, changement d'instruments, rires... Et le cordon est enfin sectionné.

JC. sa discrétion, sa disponibilité, sa compétence. Et son choix délibéré et constamment appliqué de la non intervention. Ce qui ne l'empêchera pas d'être sans relâche « avec nous ». Il en oubliera d'ailleurs les Rodenbach qui l'attendent au frigo. Bien sûr, nous aurions probablement bien fait sans lui. Bien ? Pas si sûr : quid de mes gestes, du temps qui passe et de la douleur supplémentaire pour Françoise, lorsque le bébé est bloqué aux épaules ? Sans même parler d'une déchirure possible. Ou d'un autre aléa.

Donc, oui, mille fois oui pour un accouchement naturel à la maison. Mais non, décidément non pour un accouchement non assisté. Là se trouve, me semble-t-il, très exactement la limite entre le principe de précaution et ce que nous pouvons revendiquer aux termes de la liberté et de la responsabilité.

Autre chose : certains (dont JC, d'ailleurs) affirment que c'est « le couple » qui accouche. Ce sont des salades. C'est la femme qui fait le voyage. Et rien qu'elle. Avec ses tripes, avec son sang. OK, « nous » l'accompagnons. Mais comme les directeurs de course au Tour de France : installés confortable dans une voiture. C'est pas nous qui pédalons.

Femmes, vous devriez cesser de nous courir derrière : vous êtes déjà devant...

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3 octobre 2005 1 03 /10 /octobre /2005 00:00

Chaque naissance est pour moi l'occasion (ou l'obligation) d'une longue réflexion.  La plupart du temps, j'écris beaucoup, comme support de mémoire, mais aussi comme une nécessité.  Et cette écriture est plutôt fort distincte des rapports médicaux désaffectionnés, simplifiés, protocolisés, et donc mensongers.   Parfois, mais c'est assez rare, et sous la forme de remerciements de ce qu'ils m'ont offert, j'offre, à mon tour, au couple une copie de mon texte.

C'est la première fois qu'un couple me fait la proposition de Françoise et François : que l'on écrive, chacunE, notre vécu de cette naissance, et que nous publiions l'ensemble.
Ces deux zouaves ne m'auront rien épargné !

Après s'être rencontrés sur internet (pour eux c'est une habitude, semble-t-il), s'être parfois fripés la carrosserie dans l'une ou l'autre ciber-conversation, s'être réunis comme administrateurs/trices de l' association Carrefour Naissance, réunis entre familles et entre enfants, leur demande d'être accompagnés pour cette naissance s'est transformée en une aventure amicale .

Merci à vous deux
Jean-Claude


L'accueil de Lorenzo

Dimanche, 15 décembre 2002.

Passant par le garage, et entrant dans la buanderie pour aller vers la cuisine, François m'accueille en slip :
- Comme tu vois, je suis déjà en tenue de travail !

Dans la cuisine, sa belle-mère - Babou - tourne, apparemment très calme.
Pour la première fois, mais pas la dernière, elle me demande :
- Tout va bien ?

Je me déchausse et monte à l'étage, avec mes deux valises, le monito et le chauffage d'appoint.  Je dépose le tout dans le couloir et j'entre dans la salle de bain. La pièce est toute en longueur, et le long de la baignoire, ils ont installé un matelas par terre.  La baignoire est remplie d'eau, une bouée flotte négligemment.
Françoise est en position génu-pectorale, la tête appuyée sur un coussin.  Elle se redresse légèrement, et me sourit :
- C'est parti .

Il est 14h00 et la lumière qui tombe de la fenêtre est forte, métallique.
Elle gémit, repliée sur elle-même, brièvement mais parfois plus longuement.

Il installe un autre matelas, à côté du premier, et s'y installe.
Tandis qu'elle se referme sur elle-même, il s'ouvre et l'accueille calmement, sans un geste.  Parfois, son bras s'étend et il la touche d' une main légère.  Contraste de force et de douceur.

Nous parlons facilement.  Quelques banalités : reprise de contact, pour nous resituer les uns les autres dans notre relation.

Pendant qu'il règle une caméra, j'installe silencieusement et discrètement le monitoring.  Quand il est branché et prêt à être utilisé, je la préviens et lui demande de me faire signe quand elle pense que cela ne la dérangera pas trop.
- Maintenant, c'est bien.
Elle m'a répondu automatiquement, sans trop soupeser si, effectivement, cela convient maintenant.  Elle est en demande.

...


Depuis un peu moins d'une heure, je m'imprégnais de l'atmosphère, assis contre le radiateur, sous la fenêtre, à distance d'eux-trois, elle et son bébé encore soudés, lui se détachant par moment, mais revenant se poser et refaire le tout.

Il se lève et sort.  (Comme il le fera les trois fois que j'irai écouter les bruits du coeur de leur bébé, a une heure d'intervalle.)
Les contractions ne sont pas encore très fortes et pourtant, à chacune, elle plonge en elle-même, gémissant légèrement, comme si quelque chose était encore en suspension, n'osant pas encore ...  La position et l' orientation du capteur du monito me disent  que le bébé est encore haut, mais bien placé, tout prêt à s'engager.

Elle boit de l'eau mentholée, par petites gorgées, d'une petite bouteille.  Tout est à portée de main, bien préparé, trop, peut-être.
Il revient avec une pomme et un couteau.  Il coupe et épluche la pomme sur un mouchoir en papier, lui propose un morceau  qu'elle refuse ; il mange, machinalement.  Il reste assis, à 10 centimètres d'elle, les mains, soutenant le mouchoir chargé, posées entre ses jambes croisées.
La contraction suivante est plus forte et entraîne un gémissement plus puissant, venant de plus profond.  Il est comme absent, les mains inertes : c'est lui, maintenant, qui est comme suspendu, le regard vague, et il prend le temps pour entrer dans l'événement.  Je le sens hésiter. Encore.
Le gémissement devient une demande vague.  Il a compris mais reste à distance.
Marchant à quatre pattes,  je viens lui enlever son mouchoir et les restants de pomme, lui libérant les mains, et le mettant, lui, tout entier alors, en mouvement vers elle.
Il la touche.  Elle rejette, crispée.  Il se crispe aussi, revient en arrière, doute quant à l'attitude à avoir.  Il retend la main, la pose à quelques millimètres de sa peau, sur le bas de son dos, l'effleure.  La sent-elle ?  mais, elle s'apaise.

Il plaisante.  Nos paroles se font de plus en plus rares, laissant la place aux gémissements plus rauques et plus longs, et aux silences qui se mélangent à la chaleur humide de la pièce.
Babou se glisse parfois dans la pièce, en entrouvrant à peine la porte, comme un chien curieux qui ne comprend pas et vient se rassurer.  Elle aimerait faire quelque chose pour sa fille.  La libérer de ces douleurs qu'elle connaît, en prendre une partie pour elle-même, tout peut-être, ignorant si elle les supporterait.  Elle est prête à tout, mais n'ose pas.

Son corps tout rond, boule épaisse, bouge peu, et délivre très parcimonieusement des informations sur ce qu'elle vit au-dedans.  J'aimerais qu'elle se lève, qu'elle se mobilise d'avantage, pour me donner des indications.  Elle se redresse, comme si elle avait entendu ma pensée.  De sa position de prière musulmane,  elle se dresse, comme une chrétienne, mais à genoux écartés, et je vois l'épais filament glaireux bien rosé, suspendu, s'écoulant lentement.  Son mouvement entraîne
presque immédiatement une contraction qui l'a fait s'accouder, en biais, au bord de la baignoire.  Le volume de son ventre se réduit, et je peux presque « voir » son bébé pelotonné et contraint sous la puissance de cette contraction.
Ce bébé est gros, contrairement à ce qu'elle m'a dit de ses trois autres bébés.  Et je sais déjà que ça ne va pas être facile pour elle.

Malgré sa nudité, il souffre de la chaleur humide de la pièce, et va régulièrement entrouvrir la porte ou demande de le faire.  Je suis assis contre le radiateur, et pourtant je ne ressens pas cette chaleur, comme si les conditions extérieures n'existaient pas, tendu vers eux, et en même temps le plus absent possible.

Palpant délicatement son ventre, pour bien placer le capteur du monitoring, je sens, par comparaison à il y a une heure, qu'il est
maintenant engagé.  Comme il n'est pas encore revenu, je reste près d' elle, et je lui masse le bas du dos.  En l'étirant , je sens un soulagement, une décrispation de ses hanches, un léger mouvement.

Il est revenu, entre temps, et prends place.  Il la masse aussi, et ses gestes sont plus précis, plus nets. Je les laisse.
Je vais préparer dans le couloir quelques affaires, et reviens les poser dans la salle de bain, là où elles ne gêneront pas.

Je m'absente plus souvent, maintenant, les laissant « faire leur petit » et  trouver entre eux-trois leur propre et juste place : diminuer mon influence, augmenter leur interdépendance .
Je vais retrouver Babou.  La faire parler de ses naissances, de ses enfants.

Lorsque je reviens dans la salle de bain, je constate que, pour la première fois, elle est tournée dans l'autre sens, tête vers le fond de la pièce, et je suis, à nouveau, comme à chaque fois, étonné du corps des femmes prêt à enfanter, s'élargir dans leurs chairs sombres, au bas du ventre, qui laissera bientôt surgir ou glisser l'enfant. Elle a eu des nausées, et s'est rapprochée du seau près de la toilette au fond de la pièce.  Elle est dans les bras, pelotonnée contre le corps, de son homme, et ils ne font plus qu'un.  Nausées réflexes ou aidantes ?

Elle est fatiguée, et cherche de meilleures positions, mais n'est jamais satisfaite.  Elle se couche sur le côté, toujours les genoux fortement écartées.  Mais revient toujours à sa position génu-pectorale, la tête enfoncée dans des coussins entre ses bras.  Comme si elle s'isolait du restant de son corps, le laissant travailler, attendant, mais rejetant en même temps, le moment où elle ne pourrait plus s'en tenir écartée, et devra mobiliser toutes ses forces intérieures .

Ses gémissements deviennent de longs cris, forts.
Babou revient, cachant maladroitement son malaise et son impuissance, lui prenant fébrilement la main.  Mais elle est immédiatement et nerveusement rejetée.  Elle s'en va.

Lui aussi voudrait faire quelque chose.  Je lui indique de venir se placer devant elle, pour qu'elle puisse se redresser en s'appuyant sur lui.  Mais peu de temps après, elle ré-enfuit sa tête au plus bas.  Je la sens se perdre en elle-même.  Elle se tasse, et ses cris deviennent suppliques, tournant en elle, réclamant une aide extérieure.   J'hésite à intervenir.  Je me décide à lui proposer de l'étirer en prenant son bras.  Celui du sens de la rotation du bébé.  Peu de temps après, le mouvement s'accélère et elle sent le besoin de savoir où cela en est.
Je lui propose de « se/le toucher ».   Elle glisse une main sous son ventre.
Elle dit, avec une voix inquiète, perdue, qu'elle ne sent rien.
Sachant que ce ne peut pas être possible, je me déplace vers le fond de la pièce, en le contournant, lui, que je sens aussi perdu, afin d' observer son périnée.  Une forte poussée intérieure le fait bomber.  Et puis encore et encore, de plus en plus.  Elle hurle, passant du grave à l'aigu au strident.  Je propose à l'homme de changer de place avec moi, afin qu'il puisse pleinement et directement accueillir son enfant.  La tête n'est plus maintenu que par les tissus mous du périnée qui sont totalement  tendus et indiquent le volume important.  Suivant le mouvement de défléchissement de la tête de son enfant, elle se redresse un peu soudainement en courbant le dos.  Un visage bleu, complètement fermé, apparaît, dans les mains de la mère et du père confondues.  Mais la femme replonge dans ses coussins avant que l'épaule inférieure, du côté pubien, n'ait eu le temps de se dégager.  Et le bébé reste suspendu, prenant une première goulée d'air, gonflant sa poitrine et augmentant son diamètre.
J'engage la femme à se redresser, mais elle ne peut pas.  Je dois intervenir, et aider l'enfant à dégager ses épaules.  Doucement , je vais chercher son bras, plie son coude, prends sa main, et l'étire,comme tout à l'heure j'ai étiré le bras de la femme . L'enfant glisse entièrement sur les draps accompagné d'un flot de liquide.  Il émet en même temps du méconium.  Il est inerte.  Tout, absolument tout, est arrêté, plusieurs secondes.  L'instant est là.  Je pose la main sur son thorax et perçois les pulsations de son cour.  Je sers fermement ma main pour la relâcher aussitôt, et la déplétion relance sa respiration.  Il pleure peu de temps, tout de suite pris par les mains de l'homme.

Je m'écarte.

Et je savoure, une fois de plus, la confusion et en même temps la précision des premiers mouvements et des gestes des trois corps.
Elle se redresse et s'assied sur une jambe pliée, faisant passer l'autre jambe au-dessus de l'enfant ; il le lui glisse dans les mains.  Le cordon est fort court, et ils adaptent automatiquement leurs mouvements.

Je regarde l'heure, il est 17h33.  Deux minutes à peine se sont écoulées ; un peu plus de trois heures depuis mon arrivée.

Nous parlons dans ces odeurs imperceptibles et pourtant si prenantes, dans ces liquides qui s'écoulent lentement comme le temps, dans cette magie de l'enfantement, ouvre désuète et jamais égalée. Recherche du confort impossible à trouver.  Et les membres s'ankylosent.

Babou apparaît et ne sait plus si elle peut pleurer, rire, parler, ou .
Elle a vu l'enfant accroché au sein.

Les trois premiers enfants reviennent de chez leurs amis et débarquent dans la salle de bain, posant leurs mille questions, tournants comme de petits chatons .

A chaque léger changement de position, je tente d'observer l'écoulement de sang, je palpe le cordon, et lui demande de vérifier elle-même la contracture de son utérus.

Le temps s'écoule encore.  Mais aucun signe anormal n'effleure ma vigilance.  Une dernière chose reste en suspend : la délivrance du placenta.  J'y pense à peine .
Mais pas elle.  Son impatience prend de plus en plus de place.  Et elle demande à l'homme de couper le cordon, de la libérer physiquement, de lui permettre des gestes et des mouvements plus amples, plus libres  ..

Il prend le couteau qui lui a servi a découper la pomme, et il me faut, avant d'intervenir brusquement, me rappeler que cet homme est « François », le « François » à l'humour  aussi cinglant, parfois, qu'à propos ou trop juste, à d'autre moments.
- J'ai préparé des ciseaux, si tu préfères .
Tout en riant de la plaisanterie, il coupe le cordon.  Et prend l'enfant dans ses bras.  Son fils.  Est-ce elle, il y a quelques instants, qui l' a nommé « Lorenzo », sous son regard à peine surpris mais pétillant ?
Qu'est-ce qui émane de lui, de cet homme qui revient de si loin ?  Lui, qui était si perplexe d'une naissance à la maison, il y a seulement quelque mois, et qui maintenant vit cet instant en dehors de tout raisonnement.

Quelques minutes plus tard, comme le cordon saigne encore un peu, il me demande de le nouer.

Elle se redresse et libère sa jambe endormie.
Je lui propose de prendre un bain.

Son impatience devient fort lourde.  Elle parle des contractions qu'elle ressent encore régulièrement.  Est-ce une erreur ?  Je lui propose de l' aider.  Elle accepte d'emblée.
Délicatement, je suis d'un doigt le cordon, et palpe la masse du placenta au travers du col utérin qui se ressert déjà.  Je sens aussi une sorte de fine corde, qui pourrait être des vaisseaux allant vers un cotylédon accessoire.  Je lui demande de se redresser et de pousser et je sens la masse bouger, distendre le col qui se raidit.  Elle pousse encore, et le placenta vient lentement.  Nous observons l'organe.  Il est 19h00.

Reprenant l'enfant qui se remet aussitôt à la téter, elle s'installe enfin.
Puis, elle se retire dans sa chambre.

Je range ce qui doit l'être, faisant disparaître les linges et les papiers rougis, mon matériel.
Babou a fait souper les trois « grands », et m'accueille avec sourire.
Je souperai avec la vieille femme et l'homme, avant de partir ; laissant, là-haut dans la chambre, la plus jeune avec son petit.



A chaque fois, je mesure, après, la pertinence de mes interventions.

Si ma présence est une influence en elle-même, elle peut aussi bien être positive que négative.  Et ce qui peut être positif pour l'unE peut ne pas l'être pour unE autre, ou pour la/le même a un autre moment.  Un regard, un sourire, ma transpiration-même nerveuse ou de fatigue, ma respiration, mes déplacements, mes sorties, mes entrées, . sont des éléments d'influence : un sourire peut « rassurer », maintenant, ou agacer, l'instant d'après. Ma voix, mes paroles, mes gestes, mes touchers en sont d'une autre nature.
Mes objets aussi, relativisés par la manière de les installer, de les manier, et de l'instant pour les utiliser. Mais, surtout, ce qui me semble important, c'est l'intention que j'y mets.  Mes intentions se doivent d'être en rapport avec ce que je perçois d'eux, et non pas seulement avec ce que je vis intérieurement : mes justifications, mes propres angoisses.

Comment pourrais-je moduler mes influences et les ajuster à chaque instants et vis-à-vis de chaque personne présente, sans « connaître » ces personnes auparavant ?  Comment pourraient-elles recevoir mes intentions sans me connaître ?  Comment être dans l'atmosphère sans la construire ensemble ?
Prendre le temps de cheminer ensemble ?

François s'exprime à propos de l'assistance médicale-humaine, lors d'une naissance, qui lui semble indispensable.
Je penses qu'elle peut prendre un grand nombre de forme, mais un très petit nombre seulement peut être juste dans telle situation.  Et il vaut peut-être mieux, parfois, qu'il n'y en ait pas, si elle n'est pas suffisamment mesurée.
Dans certaines situations, il vaut peut-être mieux qu'il y en ait : la femme et/ou l'homme peuvent traduire erronément une situation inconnue. La crainte ou la panique qui s'ensuit peut être salvatrice ou, au contraire, grandement perturber le bon déroulement de l'aventure, et faire prendre des décisions rationnelles inappropriées.
Quoiqu'il en soit, c'est le début d'un choix, très personnel.

Chaque fois, je me demande si le geste-là que j'ai posé était indispensable, et ce qui serait arrivé si je ne l'avait pas réalisé.  Je
suis arrivé à la conclusion, après près de 100 naissances à domicile - dont la tentative de celle de mon fils, et celle de ma dernière fille - qu'il est rarissime qu'une intervention que j'ai faite était vraiment indispensable.  Mais que si je ne les avais pas réalisées, peut-être, tel moment se serait prolongé, telle déchirure se serait étendue, telle douleur se serait plus inscrite dans les mémoires, .

Pour la naissance de Lorenzo, il ne fait aucun doute que Françoise se serait, tôt ou tard, redressée - comme je l'y avais d'abord invité -, favorisant le « démoulage » de son bébé, au risque sûrement de se déchirer, vu la position du bébé à ce moment-là.  Mais, il me fallait compter avec l'influence de ma présence et des attentes/demandes qu'elle mettait en moi.  En acceptant d'être présent, je me devais aussi d' accepter d'agir, peut-être, à tel ou tel moment.

Puis-je conclure ce point avec le mot « facilitation » ?  Mon rôle se limiterait-il à seulement faciliter ?  (Sachant que « rendre plus
facile », ne signifie pas « faire à la place de . », ni même « supprimer toutes difficultés », car il en est qui sont indispensables !)
Ceci est peut-être une réponse au « au cas où » si pervers .

A la fin de son récit, François soulève aussi un autre point, qui me semble très important : celui de l' « accouchement de l'homme ». Si j'en suis arrivé à dire qu'une femme accouche comme elle vit, comme elle EST à ce moment-là dans sa tranche de vie, il en est de même pour les hommes . qui ne sont pas jugulés, par une personnalité accompagnatrice dominante, par des protocoles l'ignorant ou l'évinçant, par des attitudes l'obligeant ou l'écartant .  même avec la plus grande des douceurs et un certain sourire .  Cela acquis, et seulement si, c' est un couple alors qui accouche, comme il vit, comme il EST à ce moment-là dans sa tranche de vie.  (Et il est possible que certains couples ne peuvent accoucher que si les partenaires sont distants l'un
de l'autre.) Mais, dans ces conditions, de quoi l'homme accouche-t-il ?
Son parcours de vie peut être entièrement changé, consciemment ou non. Ou ce peut être une « petite » chose, l'ajustant un peu dans sa vie.  Et s'il faut du temps à la femme pour qu'elle se révèle la mère de cet enfant-là (et non pas ce qu'elle souhaite être par rapport à lui), il en est peut-être de même pour l'homme : du temps pour constater comment les grains de sable se sont déposés lentement au fond du lac, après le bouleversement de la naissance .

Jean-Claude

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