Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Au coeur des émotions du nouveau-né

Naître... voilà bien le premier - mais non le moindre - évènement de notre vie, en tout cas de cette vie-ci.
Et accoucher... un jalon primordial et bouleversant dans une vie de femme, une vie de couple.

Naître, émerger du ventre de sa mère, émerger de neuf mois de vie foetale ... pour être accueilli comment ? Peut-on même qualifier d'accueil la façon dont on traite les nouveaux-nés et leurs parents ? Et de "naissance" ce qui se déroule derrière les murs de nos institutions "civilisées", dévolues à la mise au monde, ou plutôt à l'extraction à la chaîne de nos bébés ?
Pour comprendre ce qui se joue ici, pour le comprendre vraiment, je vous invite avant tout à un peu d'empathie, à un peu d'imagination. Je vous invite à vous fondre, le temps d'une naissance, dans la peau d'un bébé. Essayez... vous verrez, ça change un peu l'angle de vue...



Voyage au coeur des émotions d'un nouveau-né

Imaginez... imaginez être ce petit corps qui flotte depuis toujours, depuis votre éveil à la vie et aux sensations, enveloppé dans une chaleur constante, nourri et oxygéné en permanence, bercé par les bruits familiers des battements de coeur, des gargouillis occasionnels, de la respiration rythmée de votre mère. Habitué au son de sa voix qui résonne à vos oreilles, vous percevez la présence assourdie d'un entourage bienveillant, vous jouez avec le goût connu du liquide amniotique dans votre bouche, vous abandonnant aux rassurants mouvement du corps qui vous porte, à la caresse des parois utérines qui se font forteresse pour vous protéger...
Depuis que vous existez, vous n'avez jamais rien connu d'autre, rien ressenti d'autre. Votre corps ne vit qu'accroché à celui de votre mère, seul repère connu. Votre vie est en elle, et sa vie est en vous. Vous et elle, deux entités en une seule, la symbiose parfaite...
Et puis survient un évènement bouleversant, primordial. Peut-être terrifiant, peut-être difficile, peut-être pas... mais en tout cas connu de toute éternité, probablement inscrit quelque part dans votre "mémoire ancestrale", induit par vous-même, ou plutôt par votre corps qui sait exactement ce qu'il fait et le fait très bien : Votre naissance est en train de commencer. Votre naissance, ce long chemin vers la lumière et l'air libre, cette fracture, cette dissociation progressive au terme de laquelle ce corps qui vous englobe vous laissera définitivement vous affranchir de lui, en douceur.
Quelle étape ! Quelle signification à ce qui vous arrive !

Mais que se passe-t-il alors ?
Pourquoi et comment ce ballet si magique et si précis que vous vous apprêtiez à danser avec votre mère, cet évènement hautement intime se voit-il ainsi confisqué, profané, saccagé ?
Qui sont ces gens, ces étrangers qui ne respectent rien, ni votre rythme, ni votre position, ni votre façon de naître ? Qui ne connaissent ou ne reconnaissent ni la spontanéité ni l'évidence de l'évènement que vous vivez ?
Qui sont-ils pour se permettre de décider à votre place du moment où vous devez venir au monde, sans tenir compte que vous vous sentiez prêt ou non ?
Qui sont-ils pour décréter que vous ne venez pas assez vite, et accélérer de force votre parcours en faisant se contracter votre refuge à coups de produits chimiques, de manière si anarchique et violente ?
Qui sont-ils pour proposer avec insistance de droguer le corps de votre mère, et par là même le vôtre, s'épargnant ainsi la peine d'accompagner un évènement signifiant de manière réellement humaine, en préférant leur confort à leur implication ?
Qui sont-ils pour s'arroger le droit de toucher sans arrêt l'intérieur de ce corps qui vous porte, de toucher votre crâne, de percer volontairement la bulle de liquide dans laquelle vous vous ressourcez avant de plonger vers l'inconnu ?
Qui sont-ils pour s'autoriser à obliger votre mère à vous expulser plus vite que nécessaire, plus vite que vous n'en avez besoin ? Pour vous martyriser avec des instruments terribles qui vous aspirent ou vous écrasent le crâne, vous arrachent de force à ce corps-abri, vous abîment le visage "pour votre bien" ?
Qui sont-il enfin pour prendre la liberté de couper immédiatement, avant même votre première inspiration, ce cordon qui vous relie à votre mère, vous forçant ainsi à un déploiement immédiat et douloureux de vos poumons tout neufs, brûlés par cette arrivée massive et subite d'oxygène ?
Qu'est-ce qui justifie, qu'est-ce qui excuse ce "droit d'ingérence" total qu'ils prennent sur votre vie ?

Ils font ça parce qu’ils ont peur, si peur… peur de la vie et de ses inconnues, de la vie et de son explosion incontrôlable. Alors ils se rassurent, se cachent derrière des protocoles, s’entourent de forteresses techniques afin que la situation ne leur échappe surtout pas.
Il ne faut pas leur en vouloir, ils dégoulinent tellement de leur bonne conscience et de leur certitude de bien faire qu’ils ne vous voient et vous entendent même pas.
Ils font tout cela parce qu'ils se prétendent, et se croient sincèrement "responsables" de ce qui vous arrive, et par là même maîtres absolus de l'évènement.
Mais qui peut se permettre de voler à quelqu'un, fût-ce un bébé, la responsabilité de sa vie ?

Mais votre qualité d'être humain entier et sensible pèse bien peu dans la balance à ce moment là...
Non content de vous avoir ainsi fait violence en vous forçant à naître comme il convient de naître selon les manuels d'obstétrique, on va vous arracher très vite aux bras de votre mère, encore et toujours au nom de la sacro-sainte sécurité.
On va vous emmener loin de l'odeur et des mouvements du seul corps que vous pourriez reconnaître dans cet univers absurde et effrayant où vous venez de faire votre entrée. On va vous aveugler de lumières agressives, vous glacer dans une pièce insuffisamment chauffée, vous torturer d'une manière incompréhensible pour vous, tout ça après 9 mois d'obscurité, de chaleur, de calme...

Vous y êtes toujours, dans l'imaginaire de ce moment ?
Vous pouvez vous représenter, ne serait-ce qu'un instant, le choc éprouvé ? Vous vous sentez bien ? Que dites-vous ? "Torturer" est un grand mot ?
Mais c'est que n'avez pas encore tout vu, attendez !
Continuez le voyage, je vous en prie, et ressentez maintenant l'aspiration trachéale, qui vous brûle les narines et vous bloque la respiration que vous venez de mettre en route ; ensuite éventuellement la sonde gastrique qui vous suce et vous retourne l'estomac ; et puis cet objet froid et terrible, ce thermomètre qui vous viole l'anus ; et ces mains gantées, au contact indifférent, qui vous manipulent comme un morceau de viande humaine et vous déposent, au milieu du vide et du rien, dans une balance ; et qui étirent ensuite douloureusement vos petits membres, ces bras et ces jambes que vous gardiez repliés contre vous depuis la nuit des temps, pour vous mesurer, tout cela afin de connaître, information capitale s'il en est, votre poids et votre taille ; ces mains qui instillent dans vos petits yeux éblouis aux paupières à peine ouvertes des gouttes brûlantes, ces mains qui piquent à l'aide d'une seringue votre peau si fragile et si neuve, douleur fulgurante que vous ne pouvez pas comprendre...
Et c'est ainsi que la première prise de conscience de la réalité de votre corps va avoir lieu : dans l'irrespect, dans l'effraction, dans la souffrance, dans le non-amour.
Quel message, quelle image de votre corps et du monde cet "accueil" imprime-t-il de manière indélébile dans votre inconscient ?

Ensuite on va se faire fort de vous laver... évidemment, vous êtes si sale de l'odeur et des sécrétions de l'intérieur de votre mère ! C'est important que vous soyez aseptisé au plus vite, que vous sentiez le savon, et plus "cette odeur là" qui pourtant vous est si familière et rassurante
Si vous avez de la chance, c'est votre père, maladroit et intimidé par son "incompétence", qui se chargera de l'opération. Ensuite, bien sûr, on vous habillera, il n'y a aucune raison qu'on vous laisse profiter peau à peau du contact de votre mère, on ne sait jamais ce qui pourrait vous arriver à vous frotter ainsi à sa peau non désinfectée. Des habits qui grattent et engoncent feront bien mieux l'affaire, une armure sensitive en somme.

Enfin, après tout ça, on se rendra compte que bien évidemment vous n'avez pas réussi à maintenir une température suffisante dans votre petit corps martyrisé, et qu'il convient de vous réchauffer sous une lampe à la lumière crue, avant de vous confier à votre mère.
Car, tout le monde le sait, celle-ci est bien incapable de prendre soin de vous et de vous réchauffer correctement contre elle.
Et si malheureusement ce "moment" se prolonge un peu trop, on va à nouveau "devoir" intervenir, puisque vous ne vous êtes pas nourri depuis tout ce temps ! Et l'on va décider de vous "faire prendre" votre première tétée. On va vous réveiller, vous sortir de votre premier sommeil réparateur après cette aventure éprouvante, en vous grattant les pieds, en vous pinçant "gentiment" les joues, pour ensuite plaquer votre visage contre le sein de votre mère, ce sein même duquel on vous avait retiré au moment où vous en aviez le plus besoin. On va vous frotter stupidement la bouche sur son mammelon en faisant remuer votre tête de droite à gauche, vous maintenir de force le crâne contre ce corps sans que vous compreniez ce qu'on vous veut, vous coacher comme un joueur avant un match afin que vous daigniez mettre en bouche ce sein dont vous n'avez aucune envie pour l'instant... Mais il convient que vous tétiez, pourtant, selon les horaires que l'on a préétablis pour vous, incapable que vous êtes de savoir quand vous avez faim ou non. Qui a encore, parmi le personnel des maternités, le temps de vous laisser apprivoiser l’odeur et le goût du mammelon en vous permettant de le renifler, de le léchouiller tranquillement tout en regardant votre mère en plein dans les yeux pour mieux vous l’attacher ?

Voilà… j’espère que cette petite aventure vous a plu. Non ? Dommage. On fera mieux la prochaine fois j’imagine. Quand on fabriquera les bébés directement en machines, on n’aura plus d’ennuis avec ces parasitages émotionnels.
Mais ne vous en faites pas, « la mère et le bébé vont bien » dit-on… n’est-ce pas le principal ?

 

Françoise Jeurissen - Tinuviell

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article